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Critique de Thrinecis


Beaucoup de livres nous racontent la vie des explorateurs, journaux de bord, récits, témoignages, enquêtes, biographies romancées ou pas, mais bien peu celle de leurs épouses. Celui-ci leur rend un vibrant hommage, en saluant la force d'âme et le courage dont elles font preuve, seules avec leurs enfants pendant les longs mois d'attente du retour de leur époux, des mois qui se transforment en une vie de solitude quand il est avéré qu'il a péri en mer ou dans une terre lointaine.

Anna Enquist a choisi de s'intéresser à Elizabeth Batts qui épousa l'explorateur James Cook en 1762.
Le retour aurait pu s'intituler l'attente car c'est surtout d'attente dont il s'agit dans ce roman. Sur une trame historique rigoureusement respectée, l'auteure imagine la vie tragique d'Elizabeth qui, de 1768 année du premier voyage de James Cook à son décès en 1779 à Hawaii lors de son troisième voyage, ne cessa de l'attendre, d'espérer qu'il reviendrait et ne repartirait pas, tout en donnant naissance à 6 enfants, qu'elle élèvera sans leur père, exception faite des quelques mois de présence de l'explorateur entre deux voyages. Elle n'a vécu avec James Cook que 4 ans au total sur les 17 années de leur mariage !

Introspection, vie intérieure... le roman nous livre tous les états d'âme d'Elizabeth, sa solitude, son désespoir, sa légitime colère envers James qui l'a abandonnée, préférant naviguer avec ses matelots pour cartographier les îles du Pacifique plutôt qu'élever ses enfants. C'est souvent dramatique et terriblement poignant.

A travers la vie d'Elizabeth, on découvre un James Cook intime qui semble être un homme très intègre et rigoureux, aimant sa femme mais irrésistiblement attiré par la mer et par la soif de découvertes de nouvelles terres. C'est aussi un homme avec des failles, parfois malade et colérique, des traits de caractère qui apportent une explication peut-être un peu fantaisiste à sa fin dramatique.

Anna Enquist a volontairement choisi de ne pas ancrer le récit dans l'atmosphère et le décor du 18ème siècle. Quelques détails se glissent pour nous le rappeler : un carrosse vient chercher James Cook et sa femme, la perruque est de mise, mais guère plus... Et bien sûr, on croise de nombreux personnages historiques comme les naturalistes Banks et Solander... Mais cette quasi-absence de repères de la vie quotidienne du 18ème siècle contribue à la dimension intemporelle de son récit. de plus, le style est résolument contemporain, sans aucune tentative pour le "dater" : il figure même un soupçon d'anachronisme dans les dialogues au ton si moderne.

Cela est un peu perturbant dans les premières pages mais finalement, cette petite gêne disparaît très vite, emportée par la puissance universelle du récit : ce n'est pas la voix d'une femme mais celle de toutes les femmes de marins, de pêcheurs, d'explorateurs, de guerriers qui depuis des siècles sont condamnées à l'attente. Attendre le retour de l'époux durant des mois, des années même, en continuant à cuisiner les légumes, laver les sols et les vêtements, entretenir le feu, élever les enfants sans savoir quand il reviendra, pire encore s'il reviendra un jour. C'est la voix des femmes qui ont accouché seules, sans savoir où était l'absent, qui ont vu mourir leurs enfants en bas âge et les ont enterrés sans l'épaule de leur mari pour les soutenir dans leur douleur. C'est la voix des femmes qui ont appris la mort de leur mari en terre inconnue, et qui ont du faire face, se relever, tenir, continuer à avancer.

Plus anecdotique mais intéressant tout de même, le roman indique qu'Elizabeth a relu et corrigé l'orthographe et le style des livres de James Cook avant qu'ils ne paraissent. J'aurais aimé savoir s'il s'agit d'un fait historique avéré ou si cela relève de l'imagination de la romancière. En effet, les "Relations de voyages autour du monde" de James Cook ne mentionne absolument pas la contribution de son épouse. D'ailleurs, James Cook ne la cite jamais dans son livre ! Bien sûr, ce n'était pas l'usage à l'époque...

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