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Critique de Biblioroz


Mois d'août d'une année, l'année où visiblement le monde entame une régression ou peut-être sa sauvegarde, qui sait ? Personne ne sait encore ce qu'il en est mais Cedar écrit dans ce carnet à la couverture noire qui sera fatiguée et affichera des marques d'usure, témoins des nombreuses heures que la jeune femme aura passées à consigner l'histoire de sa grossesse face aux évènements en cours.
C'est donc à ce bébé qui grandit en elle qu'elle s'adresse, alors qu'il est encore bien à l'abri des incertitudes qui planent sur le monde à venir. Un besoin de laisser une véritable trace, un passé pour cet enfant, pour son enfant qui ressentira le désir, comme elle et comme tout être humain, de connaître ses origines.
Alors que l'existence entre dans une angoissante incertitude, Cedar, adoptée à sa naissance, se décide à aller voir pour la première fois depuis vingt-six ans, sa famille biologique sur la réserve indienne. Elle veut offrir à ce petit être tout neuf des grands-parents adoptifs mais aussi ses grands-parents biologiques.
Cette première rencontre la laissera tout d'abord désemparée et c'est vrai qu'en lisant son déroulé, elle ne manque pas de surprendre le lecteur. On fera avec elle l'étonnante connaissance d'Eddy, le mari déprimé de sa mère, qui se promène avec son manuscrit de plusieurs milliers de pages traitant des raisons qui l'incitent ou l'ont incité à ne pas se suicider. La demi-soeur, criblée de piercings, les pupilles dilatées par la meth la confortera dans l'idée qu'elle a finalement eu de la chance d'être adoptée à l'extérieur de cette famille. Bon, il me semble que le descriptif franchement nauséabond de la chambre de sa soeur était un peu de trop mais, comme de nombreux détails sur lesquels l'auteure s'attarde et qui surprennent, il a le mérite de nous faire partager les lieux !
Cedar cherche aussi à entendre les raisons de son abandon et connaître les éventuelles maladies génétiques qui pourraient être transmises à son bébé.

Pendant ce temps, le chaos semble s'installer rapidement dans le pays, mais il restera dans le flou, comme un arrière-plan dont l'héroïne sera victime sans jamais en connaître ni l'origine, ni l'étendue, ni les circonstances qui ont conduit à ce bouleversement. Pour le lecteur, il faut donc admettre et déduire de quelques phrases, de flashs info, qu'une dégénérescence de L'ADN de certains végétaux s'est opérée et que la reproduction animale est bouleversée. Sont-elles de réelles informations ? le doute subsiste fortement, les journalistes renvoient tous une même image, comme une appartenance à un groupuscule totalitaire.
À l'occasion de sa première échographie, Cedar, toujours dans l'ignorance de ce qui se passe réellement, doit à tout prix taire et surtout cacher sa grossesse afin de préserver sa liberté. le gouvernement ordonne la mise sous contrôle de toutes femmes enceintes.

L'écriture remarquable et spécialement entraînante de Louise Erdrich défile sur ce fond dystopique. Pourtant, la frustration de ne pas avoir plus de précisions sur la situation demeure jusqu'à la fin du roman. Elle a sûrement voulu que le lecteur se figure lui-même les éléments angoissants d'une telle menace de disparition de l'espèce et surtout de la prise de contrôle de groupes fanatiques profitant de la malléabilité de l'être humain. L'auteure, sans réellement l'expliciter clairement, laisse sous-entendre que l'humanité suit les règles imposées par certains, quels que soient leurs absurdités, leurs manquements à la liberté. Ne pas s'y plier aveuglément et sans jamais les contester équivaut à être des « outsiders » et à vivre dans l'illégalité sous une menace permanente d'être dénoncé.
Dans ce contexte troublant qui laisse entrevoir une fin programmée de l'humanité, la place que nous occupons, si fugitive, vient hanter ceux qui s'interrogent, dont notre narratrice. La question religieuse très présente dans la vie et les réflexions de celle-ci, jusqu'à la fascination, est insistante et n'a pas remporté mon adhésion, même si la référence avec la naissance du Christ est compréhensible. En revanche, j'admire le talent de Louise Erdrich à faire ressentir si intensément les affres de l'enfermement et de la privation de liberté.

C'est bien sûr le récit intimiste d'une grossesse, avec tous les stades de l'évolution du bébé in utéro que l'auteure traite avec une admirable précision, tout en l'insérant parfaitement dans le journal de Cedar. Par cette vie qui se forme, Cedar prend conscience et accepte sa famille biologique telle qu'elle est. Les liens du sang, combinés à ceux des ses parents adoptifs, ressurgissent pour faire face à l'adversité. L'héritage de quelques apprentissages ancestraux, notamment le tissage de la culture amérindienne, auront aussi leur importance.

Possible fin du monde sur l'incapacité de procréer, prises en otages des ventres féconds, société déviant inévitablement vers le fanatisme religieux, voilà des éventualités d'avenir qui ne manquent pas de susciter des émotions diverses tout au long de cette lecture. Ces possibilités d'extinction de notre espèce sont d'autant plus palpables qu'elles surgissent de la voix même d'une jeune femme portant la vie. Ce journal intime, malgré quelques bémols, se lit d'une traite.
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