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sur 250 notes
Ce roman prend la forme d'une journal intime, celui adressé par une mère à son enfant à naître, comme une bouteille à la mer dans un monde devenu terrible. Un cauchemar dystopique où sévit une catastrophe génétique : l'homme a cessé d'évoluer et régresse. Comme si l'homo sapiens n'était pas l'ultime et inévitable progrès de l'humanité, les femmes accouchent de nourrissons appartenant à des espèces primitives, peu viables. Cette crise de la reproduction est exploitée par un gouvernement autoritaire théocratique qui traque les femmes enceintes pour les enfermer, à la recherche de bébé «  originaux » qui n'auront pas subi les dysfonctionnements biologiques régressifs.

Forcément, le fait de placer le pouvoir de la fertilité féminine et son contrôle au coeur du roman fait écho au chef d'oeuvre éclatant de Margaret Atwood, La Servante écarlate, même si Louise Erdrich tisse aussi des thèmes plus spécifiques, plus personnels comme l'histoire amérindienne en choisissant une héroïne, Cédar, née Ojibwé mais adoptée par des Blancs. On pense aussi à 1984 avec la figure de Mother, comme un clin d'oeil à Big Brother, figure terrifiante et omnisciente qui règne sur cet enfer dictatorial.

Durant cette lecture, je me suis souvent dit que ce roman était bancal. Débuté en 2002 puis abandonné, puis repris en 2016 face à l'urgence politique contextuelle liée à l'élection de Trump, le récit manque parfois de liant entre ses différentes parties. Des personnages très intéressants disparaissent ( notamment la demi-soeur de l'héroïne ), la relation entre Cédar et le père de son enfant est invisibilisé. Un sentiment de frustration peut naître car jamais Louise Erdrich ne donne d'explications sur ce gouvernement théocratique qui a pris le pouvoir, sur l'origine de cette apocalypse biologique. Il y a bien quelques irruptions magiques, comme celle de l'oiseau-lézard qui ressemble à un Archéoptéryx, mais elles sont très fugaces.

Malgré ces fragilités, trous d'air et imperfections, ce roman m'a parlé, très fort. le choix du journal intime, s'il n'offre qu'une focale et n'ouvre pas sur l'extérieur, permet de rester au plus près de l'héroïne, de son regard, de sa psyché, de ses émotions. La tension entre la férocité de son instinct maternel et l'horreur de la situation née du contexte et de la peur croissante que son enfant n'ait rien d'humain une fois né. le portrait de cette femme est juste magnifique et on la suit dans cette longue aventure qui la verra découvrir sa famille biologique ojibwé, fuir, entrer en clandestinité être dénoncée ou protégée, kidnappée et devenir mère. J'ai été happée par le récit très rythmé, plein de suspense et la réflexion vivifiante sur le libre arbitre féminin.

Et puis j'aime la plume de Louise Erdrich, surtout lorsqu'elle se teinte de poésie. Son approche onirique du monde apporte beaucoup de lumière dans un récit très sombre mais jamais démoralisant.

« Phil a emporté un des fusils, ce qui ne nous empêche pas de rester sur le qui-vive. Mais être dehors et marcher tous les deux librement me procure un plaisir si fort que je ressens tout trop violemment – le passage délicat de l'air sur mon visage, la souplesse du sol sous les arbres, le relief de l'écorce sous mes mains, la caresse des feuilles sur mes vêtements et ma peau. Une conscience enchantée m'envahit. Je glisse une feuille noire entre mes doigts, remonte le long de la nervure centrale rigide. J'avale l'obscurité d'un trait, le riche bouillonnement de la terre. »

«  Et je me rappelle maintenant que j'y étais, la dernière fois qu'il a neigé au paradis. J'avais huit ans(…) Chaque bain d'oiseau devint solide, et le treillage et les capitules secs des fleurs d'été furent bordés de volants blancs. Il a neigé sur chaque aiguille de pin, sur le haut des piquets, sur les voitures. Et moi je suis dedans, je tombe avec elle, je l'enfourne dans ma bouche, la lance dans les airs. La blancheur emplit l'air et il n'y a rien d'autre que la blancheur. Je suis ici, et j'étais là-bas. Et je me suis posé la question, depuis ta naissance. Où seras-tu, mon chéri, la dernière fois où il neigera sur Terre ? »

Pour apprécier ce roman, sans doute faut-il accepter de ne pas tout comprendre, sans doute faut-il se laisser porter par son impressionnisme humaniste poignant, comme une injonction à vivre qui résonne très fort en cette période éprouvante. Un roman singulier et saisissant comme je les aime.
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Je viens de terminer la lecture de L'enfant de la prochaine aurore. L'univers de Louise Erdrich commence à m'être familier.
Lorsque je dis « commence », je prends mes précautions car chez cette auteure c'est un univers toujours mouvant, instable, inattendu. Ici bien sûr j'ai été à la fois étonné, déstabilisé par le sujet, en même temps rassuré de savoir que peut-être l'auteure, avec la simple magie des images et des mots, saurait me sauver de ce désastre qu'elle déploie sous nos yeux... En tous cas, essayerait...
L'univers dans lequel Louise Erdrich nous invite est terrifiant. Il me fait peur tout simplement parce qu'il paraît possible et palpable. C'est cela l'angoisse, la peur d'un possible quelque chose qui peut parvenir. Qui, peut-être, est déjà là...
Le décor est contemporain. Nous sommes dans le Minnesota, un peu plus tard que maintenant.
Une catastrophe écologique ravage la planète, bien plus avancée que celle que nous connaissons déjà aujourd'hui.
Le gouvernement est en alerte. Les scientifiques sont dans l'atermoiement. C'est l'état d'urgence. Les femmes enceintes sont invitées à se signaler au plus vite, au motif qu'un mystérieux virus est susceptible de causer des malformations génétiques.
Cedar Hawk Songmaker est une jeune femme enceinte de quatre mois. Elle nous partage son journal intime qui est une longue lettre adressée à l'enfant qu'elle porte. Cedar est amérindienne, d'origine ojibwée, adoptée par un couple progressiste blanc de Minneapolis.
Le journal commence au moment où Cedar apprend l'existence et fait la connaissance de sa mère biologique et c'est peut-être cela l'élément déclencheur qui la pousse à laisser une trace écrite auprès de l'enfant qui va naître...
Mais dans quel monde va-t-il naître ?
Car bientôt le récit devient un cauchemar, le décor une sorte de fin du monde. Les femmes enceintes sont traquées. Il faut se cacher, fuir. Cela prend la forme d'une traque. Des femmes disparaissent sans laisser de traces...
Ce qui rend totalement réaliste ce roman dystopique, ce sont certaines scènes de la vie quotidienne. Les magasins sont pris d'assaut, la pénurie alimentaire se fait bientôt sentir. Personne ne sait exactement ce qui se passe. Il est désormais impossible de désactiver la géolocalisation des téléphones portables. Les délations se multiplient pour dénoncer à la police les femmes enceintes, encouragées par des récompenses.
Bientôt, un gouvernement religieux remplace le gouvernement fédéral. Les noms des rues sont rebaptisés par des versets de la Bible...
Et puis, comme un malheur terrestre n'arrive jamais seul, il est question aussi de changements climatiques. L'hiver bientôt disparaît...
Quel sort sera réservé alors aux enfants qui viendront au monde ? Au bébé de Cedar ? Aux autres ? Venir au monde... Quelle drôle d'expression subitement ! Mais pour quel monde devenu ou en devenir ?
Car ce journal intime prend peu à peu des allures philosophiques dans un style onirique où j'ai retrouvé les respirations de Louise Erdrich, sa manière d'approcher le monde, notre monde avec ce qu'il nous est possible de voir, mais aussi ce qu'il nous est possible de deviner, de sentir, de faire venir à nous. Par moment, c'est comme un chant presque mystique.
Et dans cette longue lettre qu'elle écrit, Cedar ne renonce jamais, puise dans ce chant de la terre toute la joie et l'amour qu'elle peut offrir à cet enfant qui va naître. C'est beau.
Je pense que ce n'est pas un hasard si l'auteure a voulu poser le début de l'écriture du journal intime de son héroïne au moment où il est possible à celle-ci de se pencher sur ses racines, esquisser le territoire d'où elle vient, à défaut de savoir où elle va avec l'enfant qu'elle porte, dans ce futur improbable. Dans cette réserve indienne du Minnesota ses retrouvailles avec sa famille biologique sont surprenantes, cocasses, touchantes. C'est une belle quête d'identité à laquelle elle va pouvoir s'accrocher dans ce monde en furie, qui s'effondre.
J'ai senti aussi que ce journal intime était pour Cedar comme une bouée de sauvetage. Quand autour de soi tous les repères s'effondrent comme des châteaux de sable, écrire devient une citadelle imprenable.
Ce récit m'a tenu en haleine jusqu'aux ultimes pages.
Et puis les personnages sont beaux, traversés de lumières. C'est aussi une merveilleuse variation sur l'identité, l'adoption, nos racines...
Ce fut un coup de coeur autant pour la narration que pour la voix de Louise Erdrich que j'ai retrouvée ici, intacte, lumineuse, inspirante.
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C'est le Grand Basculement dans le dernier Louise Erdrich, le réalisme magique de LaRose laisse la place à une dystopie.
Les Indiens restent bien sûr présents dans cet univers un peu différent de ce à quoi l'auteur nous avait habitués, mais pour une fois, ce ne sont pas forcément les plus mal lotis, ils ont au moins l'avantage d'avoir déjà vu leur monde s'effondrer. Et dans le chaos régnant, ils espèrent récupérer leurs terres - même si ça n'a peut-être plus tant d'importance, sans doute que « les plus riches s'empareront de la technologie pour se reproduire, et ... nous posséderont, nous, le reste de la population, les singes. » En attendant, le très beau personnage qu'est Eddy, salement dépressif auparavant, lui qui avait l'intuition de la catastrophe à venir, se métamorphose et s'épanouit en une sorte de brillant chef indien.
Une dystopie, oui, où le Patriot Act est renforcé, où les femmes enceintes sont parquées dans des Centres, avec une Big Mother intrusive et des frappes de drones basés sur la reconnaissance vocale et faciale, des drones tout petits, qui ressemblent à des insectes. Mais Louise Erdrich ne s'intéresse pas vraiment à la description méthodique d'un monde qui bascule dans une dimension inquiétante, beaucoup de choses restent dans le flou, on ne sait même pas s'il y a encore un gouvernement central, peut-être n'est-il « que l'une des méga-entreprises ayant engagé les armées de mercenaires qui n'ont pour toute patrie que le billet vert ». Elle s'attache plutôt au ressenti de celle qui vit dans ce monde qui se détraque et part en vrille, à ses sensations, ses émotions, ses réflexions. L'incertitude de l'individu dans un monde qui tourne mal, sa perception de «l'étrangeté des choses», de «l'étrangeté de la catastrophe» intéressent bien plus l'écrivaine que la mise en place exhaustive de l'organisation d'une société terrifiante.
« Selon toute apparence - sauf que personne ne le sait -, notre monde régresse. Ou progresse. Ou peut-être marche en crabe, d'une façon qui nous échappe encore. Je suis sûre qu'un jour ou l'autre quelqu'un finira par mettre un nom sur ce que nous vivons, mais je n'arrive pas à imaginer comment tout ce qui nous entoure et tout ce qui est en nous pourrait être réparé. »
C'est ce que j'aime dans ce roman, la voix prenante et attachante de la narratrice, Ceddar, s'adressant à l'enfant qu'elle porte, l'écriture profonde de Louise Erdrich, à la fois sensuelle et intelligente, parlant de choses sombres tout en restant plutôt lumineuse. Je suis moins convaincue par la construction du roman, mais malgré cela, ce livre m'a beaucoup plu.
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« L'Enfant de la prochaine aurore » est la toute première incursion de Louise Erdrich dans le domaine de la dystopie. C'est un roman passionnant, un récit engagé, écologique et surtout féministe. Louise Erdrich signe avec « L'Enfant de la prochaine aurore » LE roman de cette rentrée littéraire de janvier 2021. Il paraît le 6 janvier aux éditions Albin Michel dans la très belle collection « Terres d'Amérique » qui démarre fort cette année avec ce roman, qui nous fait réfléchir, et ne peut nous laisser indifférent. C'est à découvrir absolument, si vous ne deviez lire qu'un livre en cette rentrée littéraire, vraiment, je vous recommanderais celui-ci. Un énorme coup de coeur pour ma part car Louise Erdrich conserve son style sublime alliée à la puissance de sa réflexion sur ce monde dystopique qui doit autant à Orwell (pour les actes de trahison et de torture) qu'à Margaret Atwood et sa « Servante écarlate » qui sont très clairement les deux sources d'inspiration de l'auteure qui a souhaité inventer un monde que n'aurait pas renier ces deux immense auteurs. Mais c'est surtout vers Margaret Atwood et son univers que penche ce roman. Une forme d'hommage de Louise Erdrich pour Margaret Atwood et son combat féministe et progressiste. Dans les deux livres, la constitution américaine et le Congrès ont été abolis au profit d'un régime autoritaire, un nouveau gouvernement fondamentaliste religieux qui se met en place avec à sa tête l'Église de la Nouvelle Constitution. Ces derniers réduisent les femmes à leur seules capacité à procréer qui devient un enjeu majeur pour le pouvoir en place. Il y a moins de bébé garçon que de bébés filles. Les organes génitaux pour les bébés garçons sont souvent absent ou mal formés. Les femmes sont opprimées et menacées tandis que l'évolution écologique et biologique régressent. L'analogie avec la situation écologique désastreuse de notre monde d'aujourd'hui est criante. le corps des femmes, leur ventre gravide devient un objet de convoitise à l'échelle étatique des États-Unis. Partout, on assiste à des arrestations de femmes enceintes par la police, les milices religieuses. Elles sont emmenées de force dans des hôpitaux où elles sont enfermées. L'angoisse monte au fil des pages de façon très efficace. Que fait-on de ces femmes enceintes arrêtées et emmenées de force dans ces hôpitaux ? Que deviennent les bébés ?

Cedar, l'héroïne de ce roman doit fuir ! Cedar est une indienne Ojibwé de vingt-six ans. Ses parents adoptifs s'appellent Sera et Glen et ils sont pleins d'amour pour Cedar. Son nom blanc est Cedar Hawk Songmaker, fille adoptive d'un couple progressiste de Minneapolis. Cedar part à la recherche de ses origines indiennes et elle rencontre sa mère biologique du nom de Trésor Mary Potts « Presque Senior ». Mère et fille sont catholiques toutes les deux et c'est l'un de leur point commun lorsqu'elles se rencontrent pour la première fois. Trésor et Eddy son mari (mais qui n'est pas le père de Cedar) vivent dans une réserve indienne. Cedar est née Mary Potts. Louise Erdrich questionne le lien filial, l'adoption, la maternité. Au sein de la réserve, Trésor, ancienne toxicomane a dû abandonner sa fille. Les personnages de la grand mère indienne, presque centenaire, de Cedar et de sa soeur adolescente de seize ans accroc à la Meth et gothique apportent une touche attachante et excentrique à cette famille indienne un peu déglinguée. le lien se tisse peu à peu alors que l'on guette la fin du monde aux Etats-Unis, en proie aux convulsions possédées d'illuminés persuadés que la foi doit prédominer. Peu à peu, le monde s'effondre tandis que Cedar cherche à comprendre son passé, elle qui doit mettre au monde un bébé d'ici quelques semaines. Cedar écrit un journal pour que son futur bébé comprenne ce qu'il s'est passé et surtout qu'il puisse s'imaginer et penser qu'il y a eût un avant à ce monde totalitaire. Et s'il n'y avait plus d'hiver, si notre planète vivait une longue et inéluctable agonie. Louise Erdrich signe de magnifiques portraits de femmes. On y évoque aussi l'évolution de l'ADN, des gènes, des mutations qui peuvent se produire. Dans cette dystopie orwellienne qui est aussi un hommage assumé à Margaret Atwood, Louise Erdrich signe un récit envoûtant qui offre le premier rôle aux femmes, objets de convoitises et de trahisons sous un gouvernement fondamentaliste et religieux qui fait froid dans le dos. L'écriture est ciselée, magnifique comme à chaque fois avec Louise Erdrich. Un roman engagé, fruit de la réflexion de l'auteure sur les maux de notre temps. On est captivé par cette histoire de bout en bout, tremblant pour ces femmes enceintes. C'est également une réflexion sur la foi, la transcendance, sa pratique et ses excès lorsqu'ils tombent dans le fondamentalisme. « L'Enfant de la prochaine aurore » de Louise Erdrich est à découvrir absolument !
Lien : https://thedude524.com/2021/..
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Cedar Hawk Songmaker est une jeune femme d'origine indienne adoptée tout bébé par des parents blancs aux Etats-Unis. Bien. Jusqu'ici, ça va : questions identitaires aux USA, appropriation par des Blancs triomphants d'une vie moins estimée car donnée par une femme, de minorité ethnique persécutée. Je l'ai. On peut broder : les Songmaker sont des gens bien, un peu babacool, plutôt éveillés, tolérants et n'ayant pas commis de grands dommages dans l'éducation qu'ils ont donné à leur fille.

A l'heure où Cedar trace les premières lignes de ce qui sera L'enfant de la prochaine aurore, elle est enceinte. C'est d'ailleurs à son bébé qu'elle s'adresse. Et elle va chercher à se rapprocher de ses parents génétiques, dans une confusion que le lecteur peut attribuer aux hormones de grossesse, à son tempérament, à son éducation de petite fille gâtée ou à la fin du monde.

Deuxième motif à ce roman : la fin du monde donc. Dans une régression vertigineuse de l'évolution. Une sorte de retour en arrière de tout Darwin façon roman d'anticipation flippant. Plutôt que de continuer à sélectionner des dispositions toujours plus adaptées aux conditions extérieures, il semble en effet que les processus à l'oeuvre dans la fécondation et les choix génétiques produisent, dans toutes les espèces vivantes, humains compris, des sortes d'aberrations monstrueuses aussi effrayantes que peu viables.

Comment on est passé à une dictature religieuse, un couvre-feu, des coupures d'électricité, la fin de l'ère numérique et une surveillance digne de l'imagination d'Orwell ? Je ne sais pas trop, j'ai pas tout suivi. J'en suis même venue à croire que Louise Erdrich laissait au lecteur le soin, grâce à ses références à d'autres dystopies, de remplir les lacunes de son dispositif. Après tout, pourquoi pas, la lecture, c'est une affaire de collaboration.

Tout de même, j'aurais bien aimé savoir où nous entraîne cette histoire. Les femmes enceintes sont recherchées, fichées. D'abord pour les répertorier. Peut-être pour les assassiner. Ou en faire des femmes pondeuses. On ne sait jamais trop. La faute aux hormones, à cette focalisation interne à Cedar qui n'est pas toujours la meilleure informatrice ou à une absence de choix narratologique ? Quoi qu'il en soit, c'est flou mais il faut se planquer. Allons-y donc pour du survivalisme façon « j'attends un heureux événement ». On planque des clopes et de l'alcool dans les murs, on se plaint d'hémorroïdes et on gagatise sur l'enfant à naître que l'on sent grandir, penser, réagir à ce qui nous arrive. Enfant prévu pour le 25 décembre. Manquait plus que ça…

Et le père ? Immaculée conception ? Presque puisque Cedar est catholique et férue de théologie. Mais non, il y a bien un père. Décrit comme un ange brun. Ambivalent comme pas deux. Hormones, Cedar, narration ?

Bon. Ca commence à être juste pénible cette lecture. Surtout que, forcément, les mois passant, le totalitarisme religieux s'amplifiant à mesure que le ventre de notre Cedar s'arrondit, on a droit aux dénonciations gratuites, aux rapts pour atterrir dans des hôpitaux carcéraux, aux fuites plus rocambolesques les unes que les autres (le coup de la longue corde tressée avec des filaments de couvertures et accrochée à un lit, si, si !). Avec une bonne amie elle aussi héroïque et gravide. Qui mourra dans d'atroces souffrances (désolée, c'est à peine un spoil, y en a tellement que vous ne pouvez même pas savoir à laquelle je fais allusion). Des grottes, des planques sous des bâches dans un camion. de nouvelles incarcérations qui arrivent de nulle part. Punaise, neuf mois, que c'est long !

En fait, y a pas un truc qui tient droit dans ce roman : la situation dystopique est bancale tant dans ses fondements que dans les conséquences sociales, politiques et émotionnelles qui sont censées en découler, on ne se fait jamais une idée exacte des personnages et de ce qu'ils portent comme idéaux, puissances à agir ou variation sur le thème. La question des origines indiennes a été dissoute dans le catastrophisme ambiant. Celle des relations parents / enfants ne survit pas non plus. La réflexion politique sur la fragilité de nos organisations n'a même pas commencé et celle du rapport entre foi, religion et fanatisme est morte née. Oups.

C'est le premier roman de Louise Erdrich qui me déçoive et j'en suis toute marrie d'autant que je me faisais une joie de m'abandonner à sa plume. Tant pis.
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On compare beaucoup le nouveau roman de Louise Erdrich à La Servante écarlate de Margaret Atwood et la maison d'édition elle-même met en avant cette proximité sur la quatrième de couverture. N'ayant vu que la série adaptée du roman, je serais bien en peine d'établir une comparaison solide entre les deux textes mais il est clair que les propos sont proches. Quant à Louise Erdrich, je l'ai découverte en 2009 avec La Chorale des maîtres bouchers et je me souviens avoir été happée par cette histoire et séduite par l'écriture. C'est donc avec une grande envie que j'ai ouvert L'Enfant de la prochaine aurore. On y fait la connaissance de Cedar Hawk Songmaker, personnage principal mais aussi narratrice, à travers les mots qu'elle dépose dans ce qui constitue son journal intime. Elle nous présente un monde en mutation, qu'elle découvre presque autant que nous, par bribes, et qu'elle interroge, alors qu'elle fait elle-même face à un grand bouleversement personnel puisqu'elle porte la vie. Nous comprenons très vite que cela fait d'elle un être à part. Nous la suivons lorsqu'elle part à la rencontre de sa famille biologique afin d'en apprendre plus sur ses origines amérindiennes, puis lors de son séjour dans un hôpital où sont regroupées les femmes enceintes et, enfin, lors de sa fuite, seule échappatoire possible au milieu de ce chaos qu'est en train de devenir le monde. Si j'ai beaucoup aimé faire la connaissance de ce personnage de femme forte et découvrir quelques-unes des conséquences du désastre climatique brièvement évoqué dans le roman, j'ai en revanche été gênée dans ma lecture par une certaine confusion du propos et un manque d'informations essentiellement dus, à mon avis, au fait que nous avons connaissance des événements et de la situation par le biais d'une narratrice interne. C'est généralement un choix narratologique pertinent mais peut-être aurait-il fallu ici mêler la voix de Cedar à une autre voix… Certaines digressions m'ont également laissée à l'écart et ne m'ont pas permis d'apprécier ce roman à sa juste valeur. Point positif, j'ai désormais très envie de relire un roman de Louise Erdrich pour retrouver le plaisir ressenti en 2009.

Lien : http://aperto-libro.over-blo..
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Et si le mot « amour » était voué à disparaître de la surface du globe?

Il y a quelque chose que je dois faire. Ce soir, j'ai décidé d'écrire ceci, pour conjurer l'apocalypse et la régression, je vais écrire le mot Amour, à peu près partout, maintenant… Sur toutes les surfaces que je trouverai, sur tous les murs et les trottoirs du monde, je vais l'écrire car il m'est inconcevable que ce mot disparaisse…Je voudrais laisser mon cerveau réfléchir sur cette perte, lui faire comprendre combien ce serait dramatique, un monde sans ce mot…Amour.

Mais il y a d'autres mots qui pourrait partir dans le néant, si nous n'y prenons pas garde…Le mot Liberté. le mot Famille aussi…Les sept enseignements ojibwés : Vérité Respect Amour Courage Générosité Sagesse Humilité…Cedar Hawk Songmaker va s'en doute l'apprendre à ses dépens, car le monde change inexorablement…Enceinte, elle ressent le poids de la maternité, le besoin de retrouver ses racines, les interrogations légitimes sur son adoption, la responsabilité de la transmission, elle part donc dans une quête d'identité et de vérités…Mais l'atmosphère est loin d'être paisible pour une future mère, car l'état américain a décidé de régir de manière totalitaire et exclusive, la procréation de sa population, sans que l'on comprenne comment…Et ça laisse présager le pire…

Il y a tant de tensions, tant d'émotions, tant de réflexions que même en écrivant cette chronique, je sais que je n'aurai pas tous les mots pour décrire la vibration de ce roman. C'est parce qu'il est poétique et qu'il se cramponne à l'idée même de la vie, que le lien se crée. Peut-être aussi, parce que je suis mère, et que je me rappelle les sensations d'élans et d'envies, d'espérances et de volontés qui viennent en-dedans, parce que le ventre s'arrondit…Peut-être aussi parce qu'il nous rappelle que la vie est fragile mais magique. Un miracle à préserver. Peut-être parce que l'écriture, est le dernier rempart contre l'oppression et la fin du monde. Peut-être parce que c'est tout simplement de l'amour. de l'amour partagé, de l'amour espéré, de l'amour manqué, de l'amour nié, de l'amour en gestation, de l'amour à venir…Et que c'est beau, autant d'amour!

Je voudrais chercher d'autres mots pour vous convaincre, mais il ne reste que ça en réserve: c'est un livre sensible sur la maternité. Un récit émouvant et engagé, dans une ambiance post-apocalyptique qui donne matière à réfléchir sur notre avenir. Une lecture pleine d'espoir que je vous recommande, avec enthousiasme!


Ma note Plaisir de Lecture 9/10
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Mois d'août d'une année, l'année où visiblement le monde entame une régression ou peut-être sa sauvegarde, qui sait ? Personne ne sait encore ce qu'il en est mais Cedar écrit dans ce carnet à la couverture noire qui sera fatiguée et affichera des marques d'usure, témoins des nombreuses heures que la jeune femme aura passées à consigner l'histoire de sa grossesse face aux évènements en cours.
C'est donc à ce bébé qui grandit en elle qu'elle s'adresse, alors qu'il est encore bien à l'abri des incertitudes qui planent sur le monde à venir. Un besoin de laisser une véritable trace, un passé pour cet enfant, pour son enfant qui ressentira le désir, comme elle et comme tout être humain, de connaître ses origines.
Alors que l'existence entre dans une angoissante incertitude, Cedar, adoptée à sa naissance, se décide à aller voir pour la première fois depuis vingt-six ans, sa famille biologique sur la réserve indienne. Elle veut offrir à ce petit être tout neuf des grands-parents adoptifs mais aussi ses grands-parents biologiques.
Cette première rencontre la laissera tout d'abord désemparée et c'est vrai qu'en lisant son déroulé, elle ne manque pas de surprendre le lecteur. On fera avec elle l'étonnante connaissance d'Eddy, le mari déprimé de sa mère, qui se promène avec son manuscrit de plusieurs milliers de pages traitant des raisons qui l'incitent ou l'ont incité à ne pas se suicider. La demi-soeur, criblée de piercings, les pupilles dilatées par la meth la confortera dans l'idée qu'elle a finalement eu de la chance d'être adoptée à l'extérieur de cette famille. Bon, il me semble que le descriptif franchement nauséabond de la chambre de sa soeur était un peu de trop mais, comme de nombreux détails sur lesquels l'auteure s'attarde et qui surprennent, il a le mérite de nous faire partager les lieux !
Cedar cherche aussi à entendre les raisons de son abandon et connaître les éventuelles maladies génétiques qui pourraient être transmises à son bébé.

Pendant ce temps, le chaos semble s'installer rapidement dans le pays, mais il restera dans le flou, comme un arrière-plan dont l'héroïne sera victime sans jamais en connaître ni l'origine, ni l'étendue, ni les circonstances qui ont conduit à ce bouleversement. Pour le lecteur, il faut donc admettre et déduire de quelques phrases, de flashs info, qu'une dégénérescence de L'ADN de certains végétaux s'est opérée et que la reproduction animale est bouleversée. Sont-elles de réelles informations ? le doute subsiste fortement, les journalistes renvoient tous une même image, comme une appartenance à un groupuscule totalitaire.
À l'occasion de sa première échographie, Cedar, toujours dans l'ignorance de ce qui se passe réellement, doit à tout prix taire et surtout cacher sa grossesse afin de préserver sa liberté. le gouvernement ordonne la mise sous contrôle de toutes femmes enceintes.

L'écriture remarquable et spécialement entraînante de Louise Erdrich défile sur ce fond dystopique. Pourtant, la frustration de ne pas avoir plus de précisions sur la situation demeure jusqu'à la fin du roman. Elle a sûrement voulu que le lecteur se figure lui-même les éléments angoissants d'une telle menace de disparition de l'espèce et surtout de la prise de contrôle de groupes fanatiques profitant de la malléabilité de l'être humain. L'auteure, sans réellement l'expliciter clairement, laisse sous-entendre que l'humanité suit les règles imposées par certains, quels que soient leurs absurdités, leurs manquements à la liberté. Ne pas s'y plier aveuglément et sans jamais les contester équivaut à être des « outsiders » et à vivre dans l'illégalité sous une menace permanente d'être dénoncé.
Dans ce contexte troublant qui laisse entrevoir une fin programmée de l'humanité, la place que nous occupons, si fugitive, vient hanter ceux qui s'interrogent, dont notre narratrice. La question religieuse très présente dans la vie et les réflexions de celle-ci, jusqu'à la fascination, est insistante et n'a pas remporté mon adhésion, même si la référence avec la naissance du Christ est compréhensible. En revanche, j'admire le talent de Louise Erdrich à faire ressentir si intensément les affres de l'enfermement et de la privation de liberté.

C'est bien sûr le récit intimiste d'une grossesse, avec tous les stades de l'évolution du bébé in utéro que l'auteure traite avec une admirable précision, tout en l'insérant parfaitement dans le journal de Cedar. Par cette vie qui se forme, Cedar prend conscience et accepte sa famille biologique telle qu'elle est. Les liens du sang, combinés à ceux des ses parents adoptifs, ressurgissent pour faire face à l'adversité. L'héritage de quelques apprentissages ancestraux, notamment le tissage de la culture amérindienne, auront aussi leur importance.

Possible fin du monde sur l'incapacité de procréer, prises en otages des ventres féconds, société déviant inévitablement vers le fanatisme religieux, voilà des éventualités d'avenir qui ne manquent pas de susciter des émotions diverses tout au long de cette lecture. Ces possibilités d'extinction de notre espèce sont d'autant plus palpables qu'elles surgissent de la voix même d'une jeune femme portant la vie. Ce journal intime, malgré quelques bémols, se lit d'une traite.
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Cedar est une jeune amérindienne, adoptée à la naissance, par un couple de blancs progressistes. Elle attend un enfant, elle entre en contact avec ses parents biologiques qu'elle ne connaît pas, pour savoir si ceux-ci ne sont pas porteurs de maladies héréditaires pour son bébé.
Ce roman se présente sous la forme d'un journal intime adressé à son futur enfant, dans le sillage d'une apocalypse biologique, en effet, l'évolution des espèces s'est arrêtée. Les USA sont désormais sous la coupe d'un gouvernement totalitaire religieux qui oblige toutes les femmes enceintes à venir se signaler, elles sont ensuite enfermées jusqu'à la naissance de l'enfant, certainement pour sélectionner des éléments de race pure, mais on ne sait pas grand chose à ce sujet. Ou peut-être, faire des expérimentations qui expliqueraient cet arrêt de l'évolution chez l'homme.
Cedar s'enfuit pour protéger son enfant à naître.
Ce roman nous entraîne dans une fiction dystopique dans la veine de la servante écarlate où le futur est menaçant et effrayant.
L'auteure ne donne pas beaucoup de renseignements sur ce qui se passe dans le pays , cela reste en deuxième ligne, dans le flou. le focus est fait sur les personnages principaux du roman.
On sait que la constitution américaine et le congrès ont été abolis comme dans la servante écarlate. Un chaos se dessine, coupures de courant, black-out, pénurie de nourriture, frontières fermées.
L'auteure a écrit ce roman en plusieurs temps, elle avait arrêté son écriture pour la reprendre sous le mandat de Trump. Elle décrit une société fragmentée avec la fin de l'épanouissement de l'humain, d'une culture muselée, médias, télévision, livres, internet, changement même des noms de rues. Louise Erdrich trouve dans la réalité du pays une résonance à sa fiction car, en effet, avec les assauts de la droite religieuse aux USA, la théorie anti darwiniste fait fureur et la thèse de l'origine divine du monde prend le pas sur l'évolution des espèces.
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Après « LaRose » et « Dans le silence du vent », voici le troisième roman de Louise Erdrich que je lis.

Avec « L'enfant de la prochaine aurore », Louise Erdrich nous emmène dans un monde étrange qui commence à régresser.
C'est à travers le journal intime dédié à son enfant à naître que le personnage principal, Cédar, nous apprend tout ce qui va se passer. Nous suivons la jeune amérindienne lorsqu'elle part à la recherche de sa famille biologique pour connaître ses racines et son histoire génétique. Mais tout se précipite avec les changements que le monde commence à subir. le gouvernement a décidé de traquer les femmes enceintes et de leur enlever leurs nourrissons. Enceinte de quatre mois, Cédar sera obligée de prendre la fuite pour sauver son bébé...

J'ai beaucoup aimé cette dystopie malgré les quelques imperfections que l'on remarque dans la construction du récit.
J'avoue que j'ai préféré la deuxième partie. L'action se met vraiment en route à ce moment-là. L'histoire est tellement intrigante que les pages défilent vite et la charge émotionnelle devient importante.
Un récit dérangeant qui marque et qui ne laissera personne indifférent.
A lire

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