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Critique de JustAWord


Si l'autrice Åsa Ericdotter est loin d'être une inconnue en Suède, c'est pourtant la première fois qu'elle connaît les honneurs d'une traduction en langue française avec L'épidémie, roman dystopique glaçant sur les dérives totalitaires d'un régime démocratique qui perd pied. Bien que l'on s'interroge sur la place de l'ouvrage au sein de la collection noire de l'éditeur Actes Sud, L'épidémie n'en reste pas moins un ouvrage captivant de bout en bout.
Chronique d'une chute sociétale.

Dégraisser la Suède
Le lecteur entre dans L'épidémie avec une certitude : quelque chose a mal tourné au sein du gouvernement suédois.
Le responsable ? Johan Svärd, premier ministre et icône populaire du Parti de la Santé. Son obsession : faire de la Suède le pays le plus sain d'Europe où la graisse n'aurait pu le droit de citer.
Pour se faire, Svärd a lancé une campagne nationale visant à réduire drastiquement le nombre d'obèses du Royaume. Chirurgie bariatrique, coercition financière, propagande et matraquage publicitaire, discrimination à l'emploi…tout est bon pour que les habitants à l'Indice de Masse Grasse et Masse Musculaire (IMGM) supérieur à 42 disparaissent.
Et si la taxe sur le sucre, l'interdiction des élevage de porcs, l'accès au logement en fonction du poids ou encore l'eugénisme ne fonctionnent pas… Johan Svärd a d'autres idées toujours plus extrêmes !
En face, parmi les « porcs », nous suivons Helena, une ancienne infirmière ou encore Gloria, professeure à l'embonpoint trop évident pour lui permettre d'exercer devant des élèves minces et sveltes. Entre les deux, on trouve Landon, pas assez gros pour être obèse et pas assez mince pour être conforme au régime en place. le cul entre deux chaises pour ainsi dire.
Dans une Suède qui glisse dans le gouffre du totalitarisme le plus terrible, Landon, Helena et Gloria vont découvrir la solution finale pour se débarrasser des derniers « porcs » suédois.
Åsa Ericdotter nous livre donc sa version du génocide en remplaçant les critères ethniques par un IMC 2.0 à la sauce suédoise. Si la comparaison crève les yeux et pourrait paraître facile, il n'en est en réalité rien.
En choisissant le poids (et par extension l'apparence physique) comme point fondamental de cette dictature, la suédoise fait écho aux préoccupations toujours plus fortes dans la population générale vis-à-vis de l'image de soi.
En poussant l'obsession du régime et du sport à un niveau grotesque, Åsa Ericdotter ne fait pas que transposer l'expérience de la Shoah sur un autre plan, elle reflète l'un des problèmes de santé publique les plus importants de ces dernières années en Occident et ailleurs : l'obésité.

Trouble du comportement et de l'humanité
Le postulat de l'obésité et la fixation du Parti de la Santé deviennent un terreau fertile pour le développement d'un extrémisme qui glace le sang.
La chose est d'autant plus efficace qu'elle s'appuie sur quelque chose de rationnel, le problème de l'obésité, pour déformer tellement le propos et les moyens de lutte que le malade devient l'ennemi, que l'humain devient du bétail. Ici, les gros ne sont pas des cafards, mais des porcs.
Comme toujours, le totalitarisme déshumanise et permet ainsi les entreprises les plus effroyables.
Åsa Ericdotter met non seulement en évidence la déformation et le manque total de discernement d'un parti extrémiste en jouant sur la peur des gens, mais elle explique en quoi les solutions apportées au départ ne sont même pas les plus adaptées. La discrimination des personnes obèses et la préoccupation pondérale omniprésente provoquent l'effet inverse sur un certain nombre de personnes qui développent des Troubles du Comportement Alimentaire (TCA) ou les entretient dans cette déformation du réel. Boulimiques et anorexiques étouffent tout autant que les obèses, confortés dans leur obsession maladive pour la nourriture.
Autour, les gens « normaux » ne s'aperçoivent même pas de ce lent glissement vers l'intolérable. Lois après lois, décisions politiques après décisions politiques, la Suède chute dans l'horreur, sans trompette ni tambour.
La religion devient celle du corps, les églises laissent la place aux salles de sports, les dieux nouveaux s'appellent régime et liposuccion.
Pourtant, derrière cette politique, il reste des hommes et des femmes, telles que Gloria ou Héléna, qui offrent au lecteur le vrai visage de ces gens qu'on décrit volontiers comme faibles et paresseux. La réalité, elle, est tout autre.

Thriller dystopique venu du froid
Pour décrire cette société, Åsa Ericdotter tranche son roman en plusieurs parties. Après la description des mesures coercitives et autres brimades envers les gens en surpoids, la suédoise reprend une histoire plus conventionnelle où l'enjeu principal est d'empêcher un massacre et de révéler au monde entier l'horreur mise en oeuvre par le Parti de la Santé.
Sous la forme d'une course contre la montre et d'une simili-enquête menée par Landon Thomson-Jaeger, un jeune universitaire en surpoids, L'épidémie s'enfonce graduellement dans l'horreur avec une remarquable efficacité.
Si l'on peut déplorer le manque d'originalité du message final (la haine survit malgré tout…), l'ensemble constitue une brillante synthèse de la construction d'un système fasciste et de la complicité silencieuse de tout un peuple… tant que cela ne le touche pas, lui, derrière le bulletin de vote et sa télévision.

Si l'on connaît bien la musique de cette dystopie suédoise, L'épidémie trouve la faille en s'engouffrant dans notre obsession moderne pour l'apparence et le poids. Terrifiant dès les premières pages et bourré de bonnes idées, le roman d'Åsa Ericdotter nous emmène dans un futur glaçant où le gros devient un autre, un porc écoeurant qu'il faut neutraliser par tous les moyens possibles, quitte à perdre son humanité.
Justaword.fr
Lien : https://justaword.fr/l%C3%A9..
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