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Critique de Woland


Librairie Académique Perrin : Edition 1972

ISBN : inconnu

Le 27 septembre 1601, après pratiquement cinquante-huit ans durant lesquels les fils de Henri II de Valois et de Catherine de Médicis n'étaient jamais parvenus à contrecarrer la décadence de leur famille par la naissance d'un héritier, Henri de Navarre, devenu, par la grâce de Dieu et en partie aussi par la volonté politique de son beau-frère, Henri III, qui le nomma son successeur alors qu'il se mourait des suites de la blessure que lui avait infligée le moine Jacques Clément, le roi Henri IV de France, le Béarnais, si longtemps en cavale et perpétuellement en danger de mort, offrait enfin un Dauphin à la France, par l'intermédiaire de sa seconde épouse, Marie de Médicis. Baptisé Louis, cet enfant deviendrait Louis XIII, l'un des rois les plus grands mais aussi les plus méconnus de notre pays. Surnommé "Louis le Juste" dans les listes de nos souverains, Erlanger affirme ici qu'il le fut pratiquement dès son berceau car il était né sous le signe, avide d'équilibre et de sécurité, de la Balance.

Quelques années plus tard, Louis devait se voir adjoindre un frère légitime, Gaston, futur père, quant à lui, de la fameuse Grande Mademoiselle , Gaston qui eut toujours, à vrai dire, la préférence de sa mère. En effet, si Louis aima et même adora Marie de Médicis, celle-ci ne le lui rendit jamais. On peut d'ailleurs s'étonner de cette froideur quand, en comparant les portraits, on constate que, dans sa jeunesse, l'enfant, comme l'adolescent, tenait plus au physique des Médicis que des Bourbon.

On me trouvera peut-être obsédée par l'enfance des uns et des autres ,o) mais il faut avouer que celle du Dauphin ne fut guère banale. Dans un étrange souci égalitaire (on n'ose écrire par sadisme ou tout simplement pour faire enrager sa femme qui voyait la chose d'un très mauvais oeil, ce en quoi, pour une fois, nous ne pouvons que lui donner raison), qui ruinait pourtant les bases mêmes de ce trône qu'il avait mis tant d'années à conquérir, Henri IV eut l'idée baroque de faire élever ses enfants légitimes avec ses bâtards. On imaginera sans difficultés les scènes que cela engendra . En outre, le petit Dauphin, comprenant très jeune que son droit d'aîné légitime le rendait tout à fait différent, s'en offusqua assez vite, et ce bien qu'il vouât à son père toute l'affection et l'admiration qu'il lui devait. Sur le plan de l'éducation personnelle, il fut élevé très sévèrement, avec châtiments corporels quasi quotidiens, par sa gouvernante, Mme de Montglat, et ce sur les instructions de ses parents, pour une fois d'accord sur la question. Ajoutons, pour en achever avec ces curieuses prémices, qu'il s'entendit par contre toujours fort bien avec la première épouse de son père, la célèbre Reine Margot.

S'il est difficile de connaître avec exactitude quels sentiments le Dauphin enfant portait aux favoris italiens de sa mère, les Concini, et surtout au mari de Leonora Galigai, fait très vite maréchal d'Ancre, on n'a plus aucun doute quant auxdits sentiments à compter de l'assassinat de son père, en 1610. On chuchotait que la Régente avait un faible accentué pour Concino Concini et, à la Cour, comme chacun sait, aucun secret ne pouvait se garder. Pour ce qui est du peuple, lui aussi était au courant ... On savait aussi que Marie de Médicis faisait tout pour infantiliser le Dauphin, qu'elle ne l'admettait pas au Conseil alors même que Concini, lui, y avait accès et que le favori voyait les courtisans affluer autour de lui alors que le jeune prince se promenait pratiquement en solitaire.

Aussi arriva-t-il ce qu'il devait arriver. L'homme en qui le Dauphin voyait peut-être un second père, le premier en tous cas pour lequel il éprouva sans doute un sentiment équivoque, le connétable de Luynes, lui souffla l'idée que, avec une poignée de fidèles, il se faisait fort de le débarrasser du favori aussi haï qu'il se montrait arrogant. L'attentat réussit et ce fut à cet instant que Louis s'écria, ne retenant plus sa joie : "Enfin, je suis roi !"

Il l'était en effet, bel et bien, et allait le rester jusqu'à sa mort, le 14 mai 1643. L'on est même tenté d'écrire que, ce jour-là, il s'unit à son royaume pour le meilleur et pour le pire.

Le meilleur, c'est sans conteste, au bout des horreurs de la Guerre de Trente Ans, le triomphe final de la France sur la monarchie habsbourgeoise : de concert avec le ministre qu'il ne renia jamais, quoi qu'il lui en coûtât parfois, le cardinal-duc de Richelieu, Louis XIII fit sauter l'étau qui, entre l'Espagne et l'Empire, tentait, depuis des années, de se refermer sur la France. Et plus jamais il ne pourrait se reformer.

Le pire réside surtout, à notre humble avis, dans les complots innombrables que dut affronter Louis XIII. Y trempaient presque toujours sa propre mère, qu'il dut exiler et qui mourut d'ailleurs en exil, son frère Gaston, qui se voyait très bien en "Gaston Ier" mais ne cessa jamais de trahir ses complices lorsqu'il comprenait que la cause était perdue, et enfin son épouse, Anne d'Autriche, qu'il avait peut-être un peu aimée au début de leur union mais qui dut attendre près de vingt ans avant de lui donner enfin, après trois fausses-couches que certains historiens cancaniers, partisans de l'impuissance du souverain, ont tendance à occulter, le Dauphin si espéré qu'on le nomma Louis-Dieudonné avant de le surnommer plus tard "le Roi-Soleil" ou encore "Louis le Grand."

Véritablement passionné par l'énigme vivante que fut Louis XIII autant que par son époque, Philippe Erlanger étudie tout, ou presque, à la loupe, mais dans un style clair et soigné. Il a le mérite d'insister sur l'enfance et l'adolescence chaotiques du jeune roi, sur les causes d'une ambiguïté sexuelle que, contrairement à nombre de ses confrères, il ne réfute pas, loin de là et remettant à l'honneur Tallemant des Réaux qui, dans ses "Historiettes", parle sans fard des amours secrètes et homosexuelles de Louis XIII avec Cinq-Mars, sur l'influence de la maladie (la tuberculose osseuse mais aussi intestinale) sur le physique mais aussi le caractère du souverain et sur les multiples et cruels pièges politiques tendus sur sa route, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur des frontières de son royaume.

En un mot, Philippe Erlanger nous restitue un Louis XIII humain, ce qui est loin de signifier "parfait", mais aussi un roi valeureux au combat, comme le fut son père, un roi mécontent d'infliger des souffrances à son peuple comme au petit peuple des autres nations qui s'opposèrent dans la Guerre de Trente Ans, mais qui les lui infligea pour restaurer une paix valable et surtout durable dans toute l'Europe, un roi mélancolique, mal à l'aise en société, un roi mal-aimé, avant tout par sa mère (ce qui crée un gouffre dans la vie d'un adulte), un roi assez conscient et respectueux de la dignité dont il était investi pour se sacrifier à elle.

Notre souhait le plus sincère est que, après avoir lu cette biographie d'Erlanger, vous donniez à Louis XIII la place qu'il mérite dans la longue ligne des Capétiens, directs et indirects : celle d'un très grand souverain, peut-être plus grand encore que ne le fut son somptueux fils et successeur, Louis XIV. D'ailleurs, posez-vous cette question : sans tous les sacrifices consentis par son père, Louis XIV aurait-il pu devenir "le Roi-Soleil" ? ;o)
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