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Critique de florigny


Fidèle à son sujet d'étude littéraire unique, à savoir elle-même, Annie Ernaux livre dans Les années, multiplement distingué et récompensé, une rétrospective couvrant la seconde moitié du 20ème siècle, et tente de créer une intersection où se croisent les événements de sa vie personnelle – à base de photos ou d'extraits de films – et les grands bouleversements du monde – à base d'informations – survenus au cours des mêmes décennies. Son objectif, fixé dans son ouvrage, sans jamais utiliser le "je" : restituer la dimension vécue de l'Histoire avec un grand H et de la mémoire collective à travers une mémoire individuelle ; s'immerger dans les images de ses souvenirs pour en détailler les signes spécifiques de l'époque, l'année, plus ou moins certaine où elles se situent ; et surtout tenter de retenir, de « sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais », parler du monde lent où elle est née dans la rareté de tout, des objets ou des distractions, bien éloigné de celui, abondant et cultivé où l'ont propulsée ses études et sa carrière, ce monde contemporain qui avance sans qu'elle sache vers quoi.


Le résultat est un inventaire à la Prévert, où comme d'habitude elle revient inlassablement sur son enfance modeste, sur la honte d'appartenir à une classe sociale inférieure, ses études, son métier de prof, son mariage finalisé par un divorce, ses amours, son avortement clandestin, l'Alzheimer de sa mère, sa passion avec un russe ou un homme plus jeune qu'elle... Tout ce qui a déjà servi de thème à ses précédents romans... En contrepoint, elle évoque les guerres, les trente glorieuses pourvoyeuses de galeries marchandes, la consommation frénétique, les combats féministes, ses convictions politiques... Tout est passé à la moulinette...


Pour moi comme pour beaucoup de femmes, Annie Ernaux a été une combattante littéraire, celle qui a osé écrire le sexe, le ventre, le sang des femmes, crûment, sans métaphores ; celle qui a fait d'une épicerie normande ou d'un hypermarché Auchan des hauts lieux de la littérature ; celle qui a signé un manifeste revendiquant le droit pour les femmes de disposer de leurs entrailles ; celle qui fort récemment a expédié une lettre ouverte et bien sentie à Macron ; celle dont la concision a été raillée par les vieux barbons gélatineux et autres incontinents du verbe pour qui la littérature ne doit être qu'hypocrisie et logorrhée. Total respect pour cette femme dont chaque phrase minimaliste a une portée quasi-universelle.


Lire Les années m'a rendue tristounette car j'ai eu l'impression parfois pénible d'avoir entre les mains et sous les yeux le testament littéraire d'Annie Ernaux. « Comme le désir sexuel, la mémoire ne s'arrête jamais. Elle apparie les morts aux vivants, les êtres réels aux imaginaires, le rêve à l'histoire ».
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