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Critique de Denis3


De la grisaille au culte d'Apple
OU
des méfaits cognitifs de l'hédonisme.

Dans mes explorations des romans contemporains, j'ai rencontré le nom d'Annie Ernaux en lisant des critiques. Il y en a des volumes, sur Babelio. Pour me former une opinion, j'ai choisi le roman qui me semblait être le plus ambitieux, ou le mieux abouti: Les Années.

Dans son discours d'acceptation du Nobel, elle dit écrire pour venger les siens, des humbles, et les femmes, ses soeurs. Elle se veut aussi opposante à l'extrême droite. de tout cela, je n'ai pas retrouvé grand'chose de bien explicite ici. Il s'agit plutôt d'une exploration chronologique de sa vie, dans le contexte où elle l'a vécue. Un récit ethnographique, en quelque sorte. Écrit dans ce style qu'elle justifie par la pudeur, ne voulant ni des larmes ni des ricanements de ses lecteurs, surtout s'ils sont riches.

J'ai eu l'impression d'assister à la projection d'un film, ou d'entreprendre un voyage en train. Les paysages changent, mais chaque paysage a ses maisons, ses prés, ses forêts et ses cours d'eau. L'enfance, l'adolescence, les années d'étude … passent la revue. Et chaque période est accompagnée de nouveaux mots, de marques, de modes, d'activités, de passions, d'événements petits et grands, de la première voiture à l'élection présidentielle ou à la chute du Mur. Ainsi passent les années puis les décennies : trois p'tits tours et puis s'en vont.

Il y a donc de tout dans ce récit. de tout, sauf de projet de vie, mis à part l'envie, sans cesse remise, d'écrire ce roman.. L'engagement politique, tant vanté, se limite à des sympathies, peut-être à un bulletin de vote, et au souvenir de lectures de jeunesse. Pas de philosophie ni d'idéologie, plutôt un hédonisme plat, matérialiste et franchement assumé ( c'est déjà ca). L'écriture serait quête spirituelle, mais elle aboutit à une énumération. L'auteur affirme avoir tellement changé au fil des ans qu'elle n'y voit pas vraiment de continuité personnelle. D'où peut-être le besoin de mettre les choses à plat et d'écrire cette énumération. Pour voir ce qu'il en ressort.

Je crois que là, justement, réside la force de ce roman. Il peint un portrait, que l'on pourrait sans doute qualifier de “naturaliste” ou “ minimaliste” de tout ou partie d'une génération. Celle dont je fais juste encore partie . Bien que venant de contextes différents,aussi sur les plans politiques et philosophiques, je me souviens moi aussi du monde gris de mon enfance. La télévision noir et blanc. La radio qui serinait vingt fois par jour la même chanson. Les convenances. Les questions qu'il ne fallait pas poser, les choses dont on ne pouvait pas parler. Les hypocrisies. La routine. L'ennui. Quand j'ai eu seize ans, j'ai regardé autour de moi, j'ai vu mes copains, leurs mobylettes, leur flipper, leurs parents, leurs trois-pièces-cuisine. Mon prof. d'histoire, qui se disait anarcho-syndicaliste mais vivait en petit-bourgeois, qui avait un vague DEUG mais se prenait pour un intellectuel. Je me suis dit : je ne veux pas être comme eux. Cette vie là, je n'en veux pas. Moi, je ferai quelque chose de ma vie. Je veux être quelqu'un. Je ne sais pas si j'ai réussi mieux que les autres. Mon “moi” de seize ans me jugerait sans doute sévèrement. Je lui dirais que c'est un petit con et qu'il la ferme. Mais je me dirais aussi que si nous avons déconstruit un monde de conventions et de grisaille, nous n'avons pas mis grand chose de valable à la place. Un terrain vague, avec un hypermarché au milieu. le culte d'Apple. Quelle bêtise ! C'est cela, ce que montre ce roman. C'est là sa force. Et c'est pourquoi je crois que ce livre devait être écrit.




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