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Critique de AgatheDumaurier


Je ne sais jamais trop, avec Annie Ernaux, sauf pour "La femme gelée" et "Une femme", dont je sens qu'ils sont très bons.
Là, je suis partagée. Je l'ai lu vite, peut-être trop vite. J'attendais quelque chose, qui n'est jamais venu. J'attendais pourquoi elle nous annonce au début un tel drame. La raison pour laquelle elle nous dit que ce livre la hante depuis 1958 et qu'elle n'a jamais réussi à l'écrire avant cette année là, 2014. Je ne vois pas ce qu'il y a d'extraordinaire et de traumatisant dans l'expérience de "la fille de 1958". Il faut dire que je suis peut-être aveuglée par mes récentes lectures un peu dures, autour de la seconde guerre mondiale...
Voilà, Annie nous raconte sa "première fois". Dans une colo avec le mono. le mono, comme tous les monos, est blond, baraqué, bronzé, prof de gym. Il saute tout ce qui bouge, normal, c'est un mono (Annie, t'as pas vu les Bronzés ? ) Annie est une intello à lunettes toute naïve et qui fait la folle parce que c'est la première fois qu'elle est en "vacances" sans ses parents. A la sur-pat (surprise-partie, c'est Retour vers le Futur, on est en 1958, Doc) H, le mono, saute sur Annie sans tambour ni trompette, l'emmène dans sa chambre et passe directement aux choses sérieuses. Bon, c'est un peu rapide et violent. Annie ne dit pas non, pas vraiment oui, en fait, elle ne pense pas grand chose et, en réalité, ce n'est pas vraiment une "première fois". (Désolée pour le spoil, mais ce n'est pas vraiment un texte à suspens) Ensuite, Annie gaffe, le mono la jette pour "la Blonde", Annie tombe folle de lui, et elle se met aussi à sauter sur tout ce qui bouge à la colo. Sauf qu'Annie est une fille, et que ça change tout. Les autres -filles et garçons-la jugent "putain sur les bords" (sic) , fille facile. Mais pour elle, malgré tout, c'est un été de liberté, enchanté...Mais dans les deux années qui suivent, son psychisme se rebelle...
Annie est beaucoup plus intelligente que ce que je résume là. le texte est très intéressant sous plusieurs angles :
-d'abord, sa réaction à l'assaut du mâle, qui est une absence de réaction, comme si de l'innocence totale de son esprit naissait tout à coup une soumission ancestrale à cette violence animale. Mais le corps d'Annie, malgré le mâle, malgré la fille, se refuse.
-Ensuite sa réaction de libération complète des carcans de l'éducation dont on ne sait jamais clairement si c'est elle, l'attitude saine et pourtant violemment critiquée par les autres, ou si ce sont les conséquences qui sont normales, cette honte qui naît peu à peu, ce repli du corps et de l'esprit. Qui est dans le vrai, la fille de 1958, totalement folle d'elle-même et de son désir des hommes, ou celle de 1960, qui a honte ?
-Le paradoxe entretenu entre une libération sexuelle incontrôlée en 1958 et la naissance chez elle d'une conscience féministe en 1959, à la lecture du Deuxième Sexe, qui la poussera à se ranger...Pour se protéger de la honte de son propre désir.
-C'est la description d'un monde entièrement dominé par le désir masculin, un monde qui vacille un peu aujourd'hui, qui tangue sur ses bases, mais très difficilement.
-L'écriture d'Annie tente d'approcher au plus près celle qu'elle appelle "la fille de 1958". C'est une entreprise de pure autobiographie (certainement pas d'autofiction !!) avec un pacte autobiographique en béton armé : la vérité, rien que la vérité...Mais, je trouve qu'elle ne va pas encore assez loin. Sinon, je ne me demanderais pas : mais qu'y avait-il de si terrible pour que cette expérience soit à ce point une brûlure au fer rouge ? Sois plus claire, Annie. Qu'est-ce que cet homme a détruit en toi ? Tu ne vas pas assez au fond des ténèbres, tu les effleures. C'est à cause de ton écriture neutre, de ta froideur. Il y avait encore des choses à sortir, à montrer, sur l'innocence et le sang, la violence du monde.
Très intéressant, en tout cas. Une véritable expérience littéraire, au sens poétique.
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