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Critique de Lutopie


Nous deux – le magazine – est plus obscène que Sade.
ROLAND BARTHES

L'épigraphe ici présent est l'épigraphe de la Passion Simple d'Annie Ernaux. Annie Ernaux est-elle plus ou moins obscène que le magazine qui est lui-même plus obscène que Sade ?

À nous, lecteurs, d'en juger à partir de ce qu'elle écrit dès le début de la Passion Simple : https://www.babelio.com/auteur/Annie-Ernaux/3976/citations/2923581 (merci de confirmer que vous avez bien plus de 18 ans avant de cliquer sur ce lien).

Hey mais attends, Annie Ernaux elle fait dans le porno ?

Là, tout de suite, un jeu de mot me vient sur son nom mais je vais m'abstenir par respect d'une collègue qui s'appelle Annie et par respect pour vous si vous passez par ici et que vous vous appelez Annie (ne me remerciez pas).

En tout cas, c'est très visuel ce qu'elle décrit dans la citation, c'est même télévisuel, et il me semble qu'on peut parler de voyeurisme de la part de la spectatrice qu'elle est, tout comme on peut parler de voyeurisme dans mon cas et d'exhibitionnisme dans le cas d'Annie Ernaux qui nous raconte dans la Passion Simple son aventure avec un Russe (Oh my god, a Russian ! So chocking! Please read this novel!)

Bon là, Mme Ernaux m'arrête tout de suite parce qu'elle dit dans son livre, je cite : « C'est […] par erreur qu'on assimile celui qui écrit sur sa vie à un exhibitionniste, puisque ce dernier n'a qu'un désir, se montrer et être vu dans le même instant. » Sauf qu'il me semble, enfin si je ne m'abuse, qu'il n'est aucunement dit dans la définition de l'exhibitionniste que l'exhibition doit être instantanée. En effet, Ernaux, si elle est retorse et perverse, peut tout à fait écrire et jouir de l'effet produit sur elle même à l'instant T de l'écriture (il me semble que l'auteur se fait lecteur à partir du moment où il se relit) ; et elle peut tout à fait jouir, aussi, de la certitude qu'elle sera lue dans un avenir plus ou moins proche selon la date de publication de son texte et se représenter le lecteur en imagination, comme elle se représente son amant en imagination dans le roman …

Du coup, je me permets d'insister, il s'agit bel et bien pour moi d'exhibition dans son écriture. Même si elle préfère le terme d'« exposition », parce que ça fait plus « art », sans doute …

Mais est-ce de l'art ? Annie Ernaux n'écrit-elle pas comme le pigiste d'un magazine féminin ? Elle-même le dit : « Tout ce temps, j'ai eu l'impression de vivre ma passion sur le mode romanesque, mais je ne sais pas, maintenant, sur quel mode je l'écris, si c'est celui du témoignage, voire de la confidence telle qu'elle se pratique dans les journaux féminins, celui du manifeste ou du procès-verbal, ou même du commentaire de texte. » Bon, étant donné qu'elle même le genre du journal féminin au genre du témoignage, très bien, je veux bien concéder qu'il puisse s'agir de littérature. D'autant plus que le traitement du temps dans le roman est assez intéressant, mais elle ne laisse aucune place à l'analyse, car elle s'en charge elle-même en note de bas de page ( elle doit croire que ses lecteurs incapables d'analyser un texte).

Vous aurez sans doute remarqué que je n'aime pas particulièrement Mme Ernaux. Mais j'ai apprécie la lecture de la Passion Simple (bien plus que la lecture de la Place). du coup, je me permets de poursuivre ma critique jusqu'à la fin ayant après tout poursuivi ma lecture de la Passion Simple jusqu'à la fin.

La Passion Simple, c'est la Passion dans toutes ses acceptions : C'est la relation d'une relation, c'est le récit d'une aventure avec un homme marié, qui fait souffrir ( non pas le couple car elle s'en fout du couple celle qui raconte), mais la maîtresse, celle qui raconte. Qui ne se considère d'ailleurs pas comme une troisième personne mais comme celle qui se laisse traverser par la présence ou l'absence de l'homme marié. Et toute l'histoire ne tourne qu'autour d'elle et de lui. C'est la passion qui est racontée mais jusqu'à la folie (car il est question d'obsession, de dépendance, de maladie mentale, la limérence, dite la maladie d'amour – bien qu'il ne s'agisse pas vraiment d'amour). Ainsi, cette relation se fait toxique, et la femme entretient férocement son obsession pour cet homme marié, nourrissant son anxiété en ne vivant que pour lui, survivant en son absence grâce aux troubles obsessionnels plus ou moins compulsifs. Et elle oublie tout le reste ressassant sans cesse l'image de cet homme. Et elle en devient de plus en plus vivante diraient certains, moi je dirais de plus en plus morte, comme si elle se vidait et comme si elle en oubliait tout, y compris elle-même, y compris son humanité :

« Quand il me laissait un intervalle plus long, trois ou quatre jours entre son appel et sa venue, je me représentais avec dégoût tout le travail que je devrais faire, les repas d'amis où je devrais aller, avant de le revoir. J'aurais voulu n'avoir rien d'autre à faire que l'attendre. Et je vivais dans une hantise croissante qu'il survienne n'importe quoi empêchant notre rendez-vous. Un après-midi, alors que je rentrais chez moi en voiture et qu'il devait arriver une demi-heure plus tard, j'ai eu la pensée rapide que je pourrais avoir un accrochage. Aussitôt : « Je ne sais pas si je m'arrêterais. »

Je me demande en lisant de telles phrases si Annie Ernaux nous interpelle, sollicite, réclame notre jugement moral ? N'est-il pas de bonne hygiène pour nous lecteurs, de nous laver les mains lorsqu'elle écrit que naturellement, après le départ de son amant, elle ne se lave pas avant le lendemain pour garder son sperme ? Désolée si je suis crue, mais je ne fais que la citer (je ne suis donc pas responsable de ces propos, je m'en lave les mains et j'espère que vous aussi vous vous êtes bien lavés les mains et le corps même).

Cette relation amoureuse en tout cas, ne m'a en rien émoustillée. Rends l'argent Annie ! Car cette histoire, pour moi, c'est trop commercial. En fait, je trouve Annie Ernaux commerciale, c'est ce qui me dérange chez elle, j'ai enfin mis le doigt dessus. Bon, certes, je dis ça après avoir particulièrement souffert de ma lecture de la Place et désolée Mme Ernaux, je sais que vous ne voulez en rien ressembler à vos parents qui tenaient un petit commerce, mais il me semble que Mme Ernaux est devenue commerçante de livres maintenant, non ? Mais elle a le mérite de fabriquer ses propres produits et de ne pas les importer de l'étranger, certes, certes. Mais j'insiste, c'est commercial la Place, et c'est commercial la Passion Simple. D'ailleurs elle écrit dans ce dernier qu'elle et son amant « épuisai[en]t un capital de désir ». Elle est en plein dans la société de consommation quoi.

« Les seuls moments heureux en dehors de sa présence étaient ceux où j'achetais de nouvelles robes, des boucles d'oreilles, des bas, et les essayais chez moi devant la glace, l'idéal, impossible, consistant en ce qu'il voie à chaque fois une toilette différente. Il apercevait à peine cinq minutes mon chemisier ou mes escarpins neufs qui seraient abandonnés n'importe où jusqu'à son départ. Je savais aussi l'inutilité des fringues devant un nouveau désir qu'il aurait eu pour une autre femme. Mais apparaître dans une toilette qu'il avait déjà vue me paraissait une faute, un relâchement dans l'effort vers une sorte de perfection à laquelle je tendais dans ma relation avec lui. Dans la même volonté de perfection, j'ai feuilleté dans une grande surface Techniques de l'amour physique . Sous le titre, il y avait « 700 000 exemplaires vendus ».

Maintenant qu'elle a décroché le Prix Nobel, elle doit vendre plus de 700 000 exemplaires. C'est la réussite. Mais attendez, que lis-je en note de bas de page ? Elle révèle le secret de sa réussite ! Elle nous donne la recette pour écrire et surtout pour finir un livre ! C'est généreux de sa part. Allez, moi aussi je suis généreuse, et je la transmets cette recette. Il suffit de provoquer un accident pour en arriver à l'accident d'écrire. Ainsi :

« J'ai souvent l'habitude de mettre en balance un désir et un accident que je provoquerais ou dont je serais la victime, une maladie, quelque chose de plus ou moins tragique. C'est une manière assez sûre de mesurer la force de mon désir – peut-être aussi de défier le destin – que de savoir si j'accepte d'en payer le prix en imagination : « Cela m'est égal d'avoir ma maison incendiée si je réussis à terminer ce que je suis en train d'écrire. »

Si sa maison a dû brûler pour que la Passion Simple soit terminée et publiée, qu'a-t-elle souhaité pour être Prix Nobel ? Une troisième guerre mondiale ? C'est possible. du coup, elle serait drôlement puissante Mme Ernaux. Je sais pas vous, mais moi je vais faire en sorte de ne pas la rencontrer. Sait-on jamais ? Elle fait souvent des voeux en plus. Lorsqu'elle veut revoir son amant, elle souhaite un crash d'avion. « J'ai désiré que l'avion dans lequel je revenais de Copenhague s'écrase si je ne devais jamais le revoir ». Je vous souhaite de ne jamais monter dans le même avion qu'elle, parce que son amant ne reviendra peut-être jamais. Comme ça, elle ne pourra pas mettre votre vie en balance. Quoique, si ça se trouve, un jour, elle a formulé le voeu d'obtenir le Nobel, en mettant la vie de ses lecteurs en balance ! Mais non, ça serait bête de sa part, parce qu'elle aurait certes décroché le Nobel, elle aurait en contrepartie perdu pas mal de benéfices, car si ses lecteurs meurent, elle ne pourra plus se payer de robes pour se faire belle pour son amant. Ouais non ça va, on doit être protégés quand on lit ses bouquins, du coup il vaut mieux la lire, ouais, si ça se trouve, dans le doute.

En plus, c'est chouette de la lire, parce qu'en lisant Passion Simple, on peut se programmer mentalement, comme elle, à avoir un amant pour mieux s'auto-flageller après. Je m'explique. Après avoir écrit qu'écrire fait partie des moyens qu'elle a de faire revenir son amant ne serait-ce qu'en pensée, après avoir donc avoué qu'écrire lui permet d'entretenir son obsession ( pour mieux l'exorciser peut-être, ça je dis pas ; ces mécanismes psychologiques complexes m'échappent), elle se demande pourquoi elle partage ça avec nous.

« Je me demande si je n'écris pas pour savoir si les autres n'ont pas fait ou ressenti des choses identiques, sinon, pour qu'ils trouvent normal de les ressentir. Même, qu'ils les vivent à leur tour en oubliant qu'ils les ont lues quelque part un jour. »

Alors moi je lis cette phrase et je m'interroge. Même si on a vécu ou ressenti des choses identiques, pourquoi devrions-nous trouver ça « normal » de les ressentir ? Pourquoi vouloir normaliser ou banaliser une relation toxique ? L'obsession qui va jusqu'à la maladie mentale ? Pourquoi souhaite-t-elle, aussi, que le lecteur vive la même passion, la même douleur ? Pour qu'elle souffre moins en sachant que d'autres souffrent ? Pour que d'autres souffrent moins en sachant que d'autres souffrent comme eux et se confortent dans leur souffrance et dans leur folie ? Pourquoi vouloir normaliser la passion, le manque de raison ( car la passion s'oppose à la raison) ? Pourquoi vouloir banaliser le manque de jugement ?

PS pour moi-même : Des fois, je me demande s'il faut juger ? Ou s'il ne serait pas préférable de ne pas juger (pour être dans la compréhension, dans l'empathie ou que sais-je encore).

Car j'entends souvent qu'il ne faut pas juger.
Mais, je me souviens qu'on disait, avant, qu'il faut se départir de ses préjugés.
Et qu'il faut donc prendre le temps d'analyser, de lire, de comprendre, pour ensuite se forger un avis, une opinion, pour pouvoir juger, justement, critiquer.
En fait, il me semble qu'il ne faut pas perdre notre capacité de jugement, ne serait-ce que pour éviter le manque de jugement.
Mais qu'il faut faire attention à la définition de « juger », qui est bien trop souvent à mon goût réduite à une seule de ses acceptions, l'acception judiciaire.
Ici je précise que je ne fais pas le procès d'Annie Ernaux, mais que j'essaie de comprendre dans ma critique ce qui m'éloigne d'elle.
Enfin, je me rends compte que j'ai certes détesté La Place mais que j'ai apprécié cette relecture d'Annie Ernaux, cette lecture de la Passion Simple, car ça m'a permis de mieux comprendre pourquoi je ne la relirai sans doute pas ( ne me forcez pas s'il vous plaît).
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