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Critique de Erik35


SI D'AVENTURE EN AVENTURE...

MOONFLEET !!!

Voilà bien un nom qui claque comme un drapeau hissé en plein vent, comme un cri de guerre ou encore comme une vergue qui claque tandis que les marins hissent la grand voile !

Mais, Moonfleet, c'est quoi, précisément ? Ou bien qui, peut-être ? Ou encore, où est-ce ? Car ce nom autour duquel se rattache tout un roman est, assurément, le principal personnage de ce beau, très beau roman d'aventure. Et pour autant, Moonfleet est bien un lieu, non un être humain -mais comme il est cependant vivant, ce lieu, et hypnotique, comme il se demeure aussi tel une ancre posé en pleine terre, vers où tout semble devoir se tendre, agir, vivre, naître ou renaître. Aimer...

Moonfleet est donc un simple village, un village en souffrance, même, meurtri par une malédiction vieille d'un siècle, son nom même étant irrémédiablement lié à la famille noble, ainsi que nous l'explique dès la première page le narrateur :

"Quand j'étais petit, je croyais qu'on appelait ce lieu Moonfleet parce que, au plus beau de l'été comme pendant les gelées d'hiver, lorsque la nuit était tranquille, la lagune étincelait au clair de lune ; mais je devais apprendre par la suite que ce nom était en réalité une abréviation de «Mohune-Fleet », du nom de Mohune, qui avaient été jadis seigneurs de toutes ces terres."

Et notre narrateur de poursuivre immédiatement, afin que l'essentiel des présentations soient faites :

" Je m'appelle John Trenchard, et j'avais quinze ans lorsque débuta cette histoire."

Rapide, efficace, sans littérature ni digression inutiles ! C'est ainsi que le jeune John Trenchard,- même si c'est au crépuscule de son existence qu'il couche les souvenirs que nous découvrons, émerveillés comme un gosse devant la devanture des Galeries Lafayette en pleines fêtes de Noël -, nous entraîne dans des aventures toutes plus énergiques, rocambolesques, incroyables, enivrantes (etc) les unes que les autres ! Car tout y est de ce qui se doit de composer un récit d'aventure, plus ou moins maritime puisque la majeure partie de l'ouvrage se déroule à terre, dans les environs proches de ce minuscule village, peu à peu en train de péricliter.

Jugez-en un peu : Des contrebandiers trafiquant essentiellement de l'alcool et du bon, un bourgeois, juge de paix impitoyable et intransigeant, nouvellement installé dans l'ancien manoir, aussi riche et avare qu'il est le diable en personne. Cet homme, semblable à un monstre sous couvert du droit, est cependant le père d'une jeune fille adorable, généreuse et douce -dont notre jeune héros ne manque évidemment pas d'être amoureux -. D'ailleurs, ce jeune homme est, comme il se doit, orphelin, pauvre et élevé par une tante acariâtre, cagote et sans la moindre douceur. On y croise un sacristain aussi débrouillard que délicieusement pêcheur (mais toujours du côté de la cause juste à défaut de celle de l'implacable Justice), un fier tavernier, taiseux mais brave et bon, venant de perdre son fils unique sous les balles du richard déjà décrit. Il ne manque évidemment une histoire de malédiction - celle pesant sur la famille Mohune, depuis que son dernier représentant a trahi tout sens de l'honneur en retournant sa veste à plusieurs reprises -. En sus de cette malédiction, il ne pouvait manquer la présence d'un fantôme - celui de cet homme, mort un siècle auparavant, le Colonel John Mohune, au terrible surnom de Barbe Noire ! -, même si l'on se demande parfois si ce fantôme ne sert pas invariablement les intérêts des contrebandiers...

... Sans oublier, bien sur, l'incroyable trésor ! Lui-même maudit, puisque viscéralement lié à l'histoire du fameux Colonel Mohune, il sera une sorte de fil rouge tout au long de cette aventureuse histoire. C'est pour lui que notre jeune intrépide bâtira l'essentiel de son existence, c'est à cause de lui qu'il se retrouvera à maintes reprises dans des postures allant du plus fâcheux au franchement dramatique, qu'il sera à deux doigts d'y laisser sa santé et qu'il y laissera même certaines des plus belles années de sa jeune existence...

Tout ces éléments, constitutifs d'un grand roman d'aventure et de quête, se trouvent dans ces quelques deux-cent soixante-dix pages. Trop, penserez-vous ? Non pas ! Car c'est bien là le génie de cet auteur méconnu chez nous, ce John Meade Falkner à qui la destinée ne permis pas d'écrire plus de trois romans, les deux précédents étant dans une veine plus fantastique, le quatrième qu'il était sur le point d'achever s'étant perdu dans un train... Oui, c'est son génie que d'avoir pu à se point faire siennes les théories romanesques du grand Robert-Louis Stevenson et de son Île au trésor, car bien loin de sembler redondant ou par trop attendu, les pages défilent au rythme des aventures, on vibre pour ce jeune homme qui, plus que d'être un insupportable garnement, semble le jouet d'un destin aussi contraire qu'injuste. Et il serait par ailleurs bien inopportun de songer que la leçon qui nous est donnée là est celle, factice, du droit et de l'ordre - après tout, on sent bien que l'auteur se place délibérément du côté des contrebandiers contre la loi d'airain de la Justice du Roi et de ses représentants, et même s'il fait payer très cher leur liberté presque anarchisante à ces hommes de rien et de beaucoup à la fois - mais, sans y inscrire une morale absolument chrétienne, la bonté, la générosité et l'amour y sont mis en exergue, de même qu'est régulièrement rappelé, en prenant pour source le Y du blason des infortunés et maudits Mohune, que le choix peut toujours se faire entre la voie courte, faible et facile de l'existence - mais que ce choix se paie toujours tôt ou tard au centuple - et la voie plus longue, plus aride, difficultueuse qui mène à la véritable estime de soi et, partant, à l'amour des autres.

Une belle, très belle leçon de vie, contée magistralement et, pour cette fois, pour un public jeune ou moins jeune, un fabuleux récit d'aventure dans lequel on se plonge comme dans une sorte de félicité enfantine retrouvée. Un peu comme s'il nous était donné de redécouvrir, avec ce regard de nos sept ou huit ans et pour la première fois, ces bons vieux films d'aventure et de chasse au trésor dont le cinéma américain des années 50 fut si prodigue, ou, pour les plus jeunes, de se souvenir de la première de "Pirates des Caraïbes"... Ces instants sont rares, gardons-les précautionneusement, ceux-là sont nos vrais trésors.
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