AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


« Migrants de tout voyage ! Migrants de tout lieu !
De toute béatitude ! de tout être !
Dans toutes les langues de la terre,
J'invoque le coeur des Hommes. »

La terre d'où l'on s'arrache un jour, cette autre terre où l'on échoue quelques jours plus tard, qu'ont-elles en commun ? Un trait d'union fragile, presque dérisoire les unit, qui prend la forme d'une mer, d'un zodiac balloté par les vagues infernales, des cris d'enfants qui ont peur de se noyer, des yeux par ailleurs brûlés d'espoir... Les réfugiés d'où qu'ils viennent ont souvent deux terres qui habitent leur âme lorsqu'ils ont la chance de survivre.
Falmarès a eu la chance de survivre...
Et quand un jeune réfugié presque encore un enfant devient un réfugié poétique, c'est une troisième terre qui l'accueille alors et nous aussi sur son rivage bercé de lunes et de saisons, une terre peuplée de mots étranges qui vont lui devenir familiers, avec lesquels il va jouer plus tard, chanter, rire, s'émerveiller, raconter son pays d'avant, pleurer peut-être aussi, nous éclairer sur ce chemin à rebours comme on tend une lampe au voyageur pour ne pas qu'il s'égare...
Falmarès est venu jusqu'en Bretagne, jusqu'à la ville de Vannes. La Bretagne l'a accueilli ou peut-être est-ce plutôt l'inverse ; en lisant ces poèmes j'ai l'impression qu'il nous a accueilli dans son coeur et c'est à notre tour de partir dans une terre d'exil.
Falmarès a appris notre langue pour la chanter, pour la mettre dans la lumière de ses yeux épris d'étoiles...

« Ô cirque, toujours battage, toujours tam-tam!
Danse !
Aux nuits des corps numériques !
Vin du milieu des corps en fête,
Vin qui baigne dans un bel esprit chantant. »

Il chante les mots pour ses compagnons migrants, ses soeurs, ses frères, il chante l'exil et se souvient d'où il vient.
Il a seize ans lorsqu'il écrit ces vers.
Il chante pour nous, il chante pour eux, il chante pour lui, il chante pour cette terre qui chante elle aussi dans son coeur, qui bat le tam-tam, qui chante là-bas, la Guinée de son enfance, comme avant dans des cris de joie, des cris d'amour, des cris éperdus, perdus peut-être à jamais...

« Oh ! frères et soeurs migrants,
Sur le tronc des cocotiers et manguiers,
Sous le géant des géants baobabs d'Afrique,
Sous les bruits nocturnes, nos bruits noirs,
À l'appel du tam-tam, mon corps musical.
Je chante ! »

La poésie de Falmarès est un trait d'union entre deux terres, deux rivages éloignés comme dans un séisme, un trou qu'il faut combler avec des mots, un pont entre les vivants et les morts aussi peut-être... Certains sont morts là-bas en Afrique, d'autres, des soeurs, des frères, sont morts en se noyant, tombés d'un zodiac dans ce trait d'union entre deux terres....
Un chemin se dessine sur cette terre d'exil qu'il foule de ses premiers pas, un chemin pour donner sens à la vie, à sa vie, à la vie de ses soeurs et frères migrants...
Falmarès a survécu aux passeurs, aux vagues infernales de la Méditerranée cognant contre le flanc du zodiac, à la mort sans cesse dans ces vagues. Alors, quand on a survécu à la mort toute proche qui a emporté d'autres soeurs, d'autres frères, on peut chanter la vie sans oublier ceux qui ne sont plus là, emportés de l'autre côté de l'océan.
Il se souvient d'une joueuse de flûte aux perles vareuses, des jeunes qui dansent et jouent de la kora et du balafon, des contes et des délices d'Afrique, du premier chant du griot, des gris-gris, des fétiches sauveurs, des talismans, des ballets trépidants traversant les nuits étoilées...

« Dans les marées basses
Et obscures,
Qui navigue sans sanglots ? »

Falmarès revisite nos mots avec la force de son âge, de son innocence, de sa maturité aussi, comme on découvre une terre inconnue avec le regard neuf d'un réfugié poétique.

« Nos fleuves d'amour !
Voluptueux, charmeux et délicieux,
Ô nos fleuves d'amour, ballade et passion,
Coeur et Amour fou ! Amour fou de toi ! »

Pour qui écrit-il ? Pour nous, mais aussi pour sa mère, car ces jeunes migrants que nous croisons parfois dans la rue sans y prêter attention, - ou parfois trop, ont aussi des mamans qu'ils ne reverront peut-être jamais.

« Chère maman, c'est moi,
C'est moi ton fils, ton champion,
Je t'écris de si fort lointain,
Je t'écris sur l'orient de mon isolement
Dans un pays de fort romantisme,
Dans les minuits de France.
Je t'écris. »

Oui, dit-il, un pays de fort romantisme... On voudrait tant y croire cependant comme lui.

« Ô cirque, toujours battage, toujours tam-tam !
Danse !
Aux nuits des corps numériques !
Vin du milieu des corps en fête,
Vin qui baigne dans un bel esprit chantant. »

Ce recueil de poèmes, Soulagements, est une ode à l'exil jubilatoire et en même temps douloureux.
La poésie de Falmarès m'a touché par ses soleils, ses rivages, ses émotions.

Grand merci à toi chère Isa qui m'a fait découvrir ce jeune poète exilé sur notre chère terre, sur notre chair aussi qui frémit en le lisant... Qu'est-il devenu depuis ces vers ? Je voudrais tant le savoir.
Commenter  J’apprécie          5235



Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Ont apprécié cette critique (49)voir plus




{* *}