Citations sur Les confidentes (23)
Bien sûr qu'il ne voulait plus rentrer… Nous avions passé des mois cloisonnés dans une chambre, cloués a un lit. Nous avions vingt-trois ans et notre jeunesse était ailleurs. Nos avenirs étaient dehors, dans les autres. Il fallait avancer. Et pour cela il fallait sortir. Il fallait quitter les compotes et la couette chaude.
Je pensais à Marcello Mastroianni dans La Dolce Vita, tout petit devant les belles épaules nues d’Anita Ekberg. Marcello lui disait en dansant qu’elle était tout : la mère, la sœur, l’amante, l’amie, l’ange, le diable, la terre, la maison ! Oui, c’était ça, disait Marcello à Anita, ecco cosa sei, tu es la maison, la casa ! Je préparais pour Antoine un lit de fortune, sur la moquette, là où nous avions couché ensemble la première fois.
Je pouvais alors fermer les yeux, sans nectar, sans berceuse. Et les rêves, Sarah, à l’époque, je n’en avais que faire. Je les aurais donnés volontiers à qui voulait les prendre ! D’ailleurs, rien ne valait les nuits où l’on dormait peu, où l’on dormait mal. L’un contre l’autre, nous trouvions toujours refuge et plaisir, même dans les heures saccagées par le stress, celles noyées de deuil et de chagrin. Je n’avais qu’un besoin, Sarah, sentir Antoine contre mes genoux... »
Antoine apprenait facilement car il était passionné. Il n’aimait pas l’argent, et pouvait parler du krach boursier de telle date pendant des heures. Il n’était pas religieux, oh non, Sarah ! et pouvait disserter sur la papauté au XIXe siècle mieux que n’importe quel curé. Il était parisien désormais, et quand je lui lisais un passage de Giono, il me décrivait avec précision les feuilles de chaque arbre. Tendrement, il me dépeignait les couleurs, les chants, les ailes de chaque oiseau. »
Mon propre corps devenait irréel. Je découvrais mes seins blancs contre son torse chaud, mes boucles contre son dos, mes ongles contre son bassin. Et cette bouche que j’avais tant désirée, Sarah – son sourire quand il avait claqué la porte, son rire sur le pont des Arts – me couvrait de mille baisers. Sur le ventre... les seins... comme pour me remercier de l’avoir attendu... la bouche... le cou... encore la nuque... comme pour me demander pardon de s’être fait attendre sur le lit, dans les couloirs... de nouveau le bassin... les cuisses...
L’expression, les mots, étaient là. Ces mots magnifiques. Surtout en langue étrangère. Love at first sight... L’amore a prima vista ! Ah, Sarah, j’aurais tellement aimé te dire que quand Antoine a claqué la porte, ça a été l’amore a prima vista ! Peut-être que oui, ça l’était. C’était vraiment un coup, une claque. Mais avec Antoine il y en a eu plein d’autres, ça n’en finissait pas ! Pendant des mois, je me surprenais à le découvrir, à le saisir. Comme si c’était la première fois qu’il se trouvait là, devant moi.
J’ai touché le col de sa chemise que je connaissais par cœur. J’ai caressé d’un doigt son oreille. Je me savais autorisée à tout. Il m’aimait encore. Il me l’a dit à ce moment-là. Moi aussi je t’aime encore. Nous nous sommes déshabillés. Encore. J’avais jeté toutes ses affaires. Nous nous embrassions sur ce reliquat. Aimer encore, ce n’était plus aimer.
On ne garde pas un souvenir de quelqu’un que l’on revoit.
Elle n’avait pas envie d’entrer dans la fiction. Bien installée dans son fauteuil, le manteau en boule sous un bras, elle pensait au métro, à la nuit sans sommeil, et à son visage fatigué.
J’ai vu tout leur bonheur, la dentelle de sa robe contrastant avec le noir corbeau de ses cheveux, les marées hautes, les enfants qui surgissent, la tendresse, l’amour qui ne cesse de croître, les réveils aux biberons de chocolat chaud.