Mille secrets mille dangers

Les mots tourbillonnaient dans ma tête, perdant un peu de leur sens à chaque tour. Égyptien pure laine. Québécois pur foul. Libanais par le mauvais oeil, Montréalais du Petit Liban. Arabe de culture. Phénicien par l’ADN, Chawam des deux côtés, maronite par Dieu. Levantin dans le silence de l’hiver.

J’aurais souhaité écrire un livre de joie, mais ce livre sera ma peine. Ma peine d’avoir perdu une amie, ma peine à écrire cette perte, ma peine d’avoir tant essayé, puis d’avoir abandonné.

(Le Quartanier, p.85)

Mais aimer la vie et haïr la sienne, c’était possible.

Ce travail de tant d’années, ce travail d’écriture et de lecture de moi-même par la parole m’aidera à comprendre comment, prisonnier de la colère, de la honte et du déni, j’ai construit un récit où me cacher, où me mettre à l’abri de la vérité.

Je me suis résolu à m’installer à la table de la cuisine. J’ai ouvert mon cahier et je me suis mis à écrire. J’ai accueilli les images qui m’obsédaient et j’ai accueilli les phrases les légendant, je les ai laissées venir pêle-mêle sans chercher à organiser le désordre. J’observais, j’écrivais. Je laissais venir les phrases qui me rendaient à ma souffrance, à la vérité de ce que je vivais, à celles et ceux que j’aimais, mes parents, Vir, Dodi, Mym, Mym vivante qu’il fallait laisser partir et que je voulais violemment faire revivre.

Fais mieux que moi mon fils. Ne te condamne pas à être malade et à avoir peur. Fous-toi de ce que les autres pensent. Fais ce que tu aimes, ya baba. Fais ce que tu veux, ce que tu veux vraiment. Écoute-toi, écoute ce qui parle en toi. Et même si ce que tu entends t’inquiète, même si ce que tu entends t’apparaît insensé, fais-toi confiance. Tu trouveras la joie et la paix.

de Wali Wali : C’est une des dernières choses que m’a dites mon père: tiens-toi loin des mosquées. Ça commence par le petit hijab sur la tête de leurs filles pendant une partie de soccer…puis après ils lancent des pétitions…On ne s’en rend pas compte mais, bientôt, les pauvres Québécois de souche ne pourront plus manger leurs oreilles de Christ en paix à la cabane à sucre.

Je savais qu'ils approchaient, je les attendais depuis la veille, les scorpions, les fouets, les crocs vénéneux, ils sont là maintenant. Te revoilà, attaque de panique. J'ai l'impression d'être ici et d'être ailleurs, d'avoir quitter mon corps ou de m'y enfouir, de disparaitre dans ses profondeurs.

Ne rien dire revient à dire beaucoup de choses. Beaucoup de choses qui, tues trop longtemps, finissent par nous perdre.

A aussi se dit mériter mieux, mériter mieux que les maux de ventre dont il a hérité. Sa vie tourne autour de sa souffrance, de sa maladie. A ne s’imagine pas être heureux un jour.

(Le Quartanier, p.310)