Tout le monde devrait dire adieu à ses proches avant de quitter ce monde.
La terreur que nous lisions dans son regard était bien réelle. J'imagine que c'est comme lorsqu'on prend un petit oiseau au creux de sa main. On sait très bien qu'on ne lui fera aucun mal, mais l'oiseau l'ignore lui. A neuf ans, j'avais appris à mesurer le pouvoir de la peur.
-Tous les possédants ne sont pas identiques, Ali. L'oncle de Sebastian était mon préféré, un tempérament blagueur et facile à vivre. C'était un plaisir de le voir lors des occasions familiales. Il prédisait de façon très fine ce qui allait se passer dans le monde. Les évènements politiques, par exemple qui passerait à la tête de tel ou tel pays. J'avais dix-huit ans quand j'ai été témoin pour la première fois d'une de ses prédictions. Nous dînions dans la grande salle à manger et il nous a annoncé que les retraites en Dignitorium seraient bientôt limitées, et qu'au bout de cinq ans maximum tous les résidents seraient euthanasiés.
« La politique est un mensonge organisé, une comédie pour duper les masses », répétait-il. Il ne mentionnait même plus les partis politiques par leurs noms, il les appelait les Bons (notre gouvernement actuel), les Égarés (les socialistes), les Méchants (les ultranationalistes) et les Arboristes (les verts). « Si tu juxtaposes leurs surnoms, on dirait le titre d’un vieux western spaghetti », concluait-il. C’était le genre de blague dont on sait qu’il faut rire, sans y arriver pour autant.
Bien que je n’aie pas de compagnon, je porte Philip à l’intérieur de moi. J’entends encore ses mots, lors des rares occasions où je l’avais convaincu d’assister à la messe, quand la sonnerie retentissait : « Il est temps de pénétrer dans l’usine à zombies. »
« J’aimerais mieux ne pas gaspiller mon temps avec toi là-bas. Je ne vais presque jamais à la messe. Mon père l’appelle la messe des masses à la masse. »
Comment peut-elle être considérée comme non lucrative, quand elle me donne tant d'amour, et cette joie qui guérit mes blessures plus sûrement que n'importe quel traitement ? Je suis trop bouleversée pour m'appesantir sur ces questions. Tout ce que je sais, c'est que son rire me fait oublier tous mes problèmes.
(…) j’entrevois avec étonnement les ruines d’une petite ville. Comme tout le reste elle a dû être abandonnée lorsque la population a été contrainte d’emménager dans les mégacités, à l’avènement du nouveau système. Je distingue les vestiges d’anciennes autostrades, désormais presque littéralement recouvertes par les mauvaises herbes, et les maisons mitoyennes à demi effondrées, plantées telles de pierres tombales à la mémoire d’un temps révolu. Des carcasses de voiture aux pneus crevés, délavées par les intempéries, jalonnent les rues étroites (…). La tristesse plane sur cette ville fantôme, clamant la victoire de la destruction.