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Critique de JIEMDE


« Là où vont les cerfs, les hommes iront aussi ».

Il y a quelque chose de pourri dans le comté de Mercy Oaks en Géorgie. Sur ces anciennes terres des Creeks et des Lokutta, massacrés et spoliés de leurs terres, les cerfs se meurent peu à peu. Sur les bords de la Lakutta, les espaces naturels s'aménagent et le cadavre d'une jeune femme noire est retrouvé un beau matin.

Issu d'une famille nombreuse qui survit comme elle peut, le jeune Toxey travaille dans l'épicerie locale mais s'échappe dès qu'il peut pour assouvir sa passion de la photo. Même qu'il est plutôt doué. Ce que ne manque pas de remarquer Fiona, naturaliste, qui le prend sous son aile.

Mais leurs excursions vont devenir explorations et entraîner des découvertes bien sombres que le magnat local, sénateur putatif qui a mis la main sur le comté à coups de dollars, préfèrerait conserver bien cachées…

Autant le dire clairement, le Présage de Peter Farris – traduit par Anatole Pons-Reumaux – est un des romans US les plus réussis qu'il m'ait été donné de lire ces derniers temps. Et comme l'a dit avant moi la plus grande chroniqueuse littéraire du Gers (et peut-être même au-delà…), assurément le meilleur Farris.

Parce qu'à côté de la trame romancée, certes classique mais solide, addictive, noire et naturelle, l'auteur ajoute une deuxième couche de réflexion sociétale moderne et touchant juste sur l'état actuel de l'Amérique et de ses élites, qu'on pourrait d'ailleurs sans mal extrapoler à d'autres pays occidentaux, le nôtre compris.

Derrière ses personnages, se cache ces néo-politiciens, préalablement enrichis dans d'autres activités ce qui leur donne l'impression d'une légitimité supérieure ; ces citoyens serviles parce qu'apeurés, devenus lobotomisés et handicapés de toute pensée propre ; et ces lanceurs d'alertes, qui n'ont de cesse que de troubler le silence complice…

Son politicien est abject et populiste… mais si réaliste : « Écoutez, je n'ai pas besoin d'argent. J'en ai déjà gagné plein. (…) J'ai l'intérêt du peuple, de cette nation et notre formidable héritage chevillé au corps somme personne, alors que plein de politiciens cherchent juste à s'en mettre plein les poches. Ces gens-là sont déplorables. Ce sont eux, les escrocs. Ce qui leur faut, c'est une figure paternelle pour leur remonter les bretelles de temps en temps. Ce dont ce pays a besoin, c'est d'une main ferme ».

À travers lui, Farris décrypte le destin qui semble s'offrir à son pays : « Nous sommes au bord d'un précipice, au point de bascule pour une nation tellement scindée et tribalisée qu'elle est irrécupérable. Quand les gens n'ont plus envie de partager le même pays, ni de trouver un consensus autour de faits incontestables, comment continuer à avancer ensemble, sans parler de résoudre plusieurs crises internationales à la fois ? »

Ainsi, après celui des cerfs de la Lakutta, le chaos des hommes semble inéluctable : « L'expérience américaine touche à sa fin, elle mute en quelque chose d'imprévisible. le résultat sera une boucherie comme on n'en a pas vu depuis 1863 ».

À moins… À moins que le futur et ses nouvelles générations fassent mentir le présage et que, peu à peu, comme dans les forêts de la Lakutta, on finisse par revoir un à un des cervidés revenir reprendre la main sur leurs territoires : « La biche lui donnait l'espoir que le troupeau puisse se rétablir ».

Car souvenons-nous que « là où vont les cerfs, les hommes iront aussi » !
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