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Critique de julspirit


Peut-être la sociologie a-t-elle pour ambition de dévoiler des pratiques dissimulées aux yeux de tout le monde. Alors, dans cette perspective, le travail de Didier Fassin est une grande réussite. Et c'est d'autant plus essentiel que ce travail d'observation au long cours, mené auprès d'une BAC (Brigade Anti-Criminalité) de la banlieue parisienne il y a maintenant presque quinze ans, ne serait plus possible aujourd'hui. L'institution policière, d'ordinaire déjà peu loquace, s'est recroquevillée sur elle-même ces dernières années en même temps que la contestation à l'encontre de ses pratiques augmentait. C'est après tout un mécanisme de défense assez instinctif. Mais c'est aussi un très mauvais signal en démocratie.
Mais alors, qu'apprend-on dans cet ouvrage ? Tout d'abord que, la plupart du temps, les policiers de la BAC s'ennuient. Non pas qu'ils ne fassent rien ou n'aient rien à faire, mais que la nature de leur activité et la manière dont ils l'exercent ne peut pas leur permettre de déceler des actes de délinquance qui sont, d'une part, peu fréquents, et d'autre part, généralement commis à leur insu.
Par là, on comprend que la fascination pour l'action, le danger et la violence ne sont pas que le fait des « voyous » dans les « zones de non-droit ». Elle est également partagée dans les grandes largeurs par les agents de la BAC, dont c'est même une des motivations premières à l'idée d'intégrer cette unité. D'où les regrets d'une routine faite de patrouilles au hasard et d'interpellations ciblées sur les « jeunes des cités » et les « gens du voyage » qui permettent, à défaut d'utilité sociale (par exemple en luttant contre les atteintes aux personnes ou aux biens, c'est-à-dire la raison d'être de la BAC), de faire du chiffre en relevant des infractions mineures (consommation de stupéfiants, étrangers en situation irrégulière).
D'où également une propension de certains policiers à la provocation à l'encontre de la population, et notamment face aux jeunes racisés (Fassin utilise le terme « racialisés ») des quartiers. En effet, l'auteur montre que la stratégie mise en oeuvre vise à obtenir une réaction d'énervement ou de contestation de la part du ou des jeunes, réaction qui justifie dès lors l'usage d'une riposte musclée. A ce titre, le contrôle d'identité, sorte de rappel à l'ordre social sur la légitimité des uns et des autres à occuper l'espace public, est une arme dont usent régulièrement les agents de la BAC.
On note aussi que les « zones de non-droit » portent très mal leur nom. Tout d'abord parce que les policiers y passent une partie très importante de leur temps. Également car ils n'y sont pas nécessairement mal reçus, malgré les (trop nombreux) discours politiques en ce sens, qui s'enquièrent moins de la vérité et d'un terrain qu'ils ne connaissent pas que de flatter leur électorat.
Cela produit pourtant des effets excessivement concrets en termes de stigmatisation, voire d'humiliation de certaines populations, et aussi un cercle vicieux : plus la présence policière se fait forte sur un territoire, plus l'activité des forces de l'ordre et donc les chiffres de la délinquance augmentent. de là sont légitimés les discours visant à renforcer encore la logique répressive sur le terrain. Pourtant, et l'auteur le répète inlassablement, la délinquance n'est pas plus importante dans les cités dites difficiles qu'ailleurs.
L'ouvrage fait enfin le constat de l'impunité. Celle des forces de l'ordre, évidemment, qui apparaissent bien moins sanctionnées pour les actes répréhensibles commis dans l'exercice de leurs fonctions que les habitants des quartiers dans lesquels elles interviennent.
J'imagine qu'on dira que ce travail est à charge. Ce n'est même pas le cas, et c'est peut-être pire. Si les faits dont il est question dans l'ouvrage ont pu être consignés, c'est qu'ils ont été perpétrés par les policiers sous le regard du sociologue, à découvert. C'est donc que les policiers ont estimé que tout ce qu'ils ont fait pouvait être montré, c'est-à-dire que leur action était légitime. Peut-être est-ce cela qu'il convient avant tout de retenir de cette lecture. Et sans doute cela devrait également inciter les policiers eux-mêmes à lire cet ouvrage et à méditer le rôle que le pouvoir leur assigne :
« La loi [sert] moins à appliquer le droit qu'à rappeler chacun à l'ordre social. Probablement faut-il penser l'efficacité du travail de la police dans les quartiers défavorisés en d'autres termes que ceux habituellement retenus, c'est-à-dire la réduction de la délinquance et de la criminalité. Les patrouilles exercent une forme de pression sur les populations vues comme les plus menaçantes par leur simple présence, à savoir les jeunes de milieu populaire appartenant le plus souvent à des minorités, indépendamment de tout danger objectif. L'enjeu n'est donc pas tant l'ordre public qu'il s'agirait de protéger que l'ordre social qu'il s'agit de maintenir ».
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