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Critique de bgbg


bgbg
09 février 2018
L'humilité est-elle nécessairement de mise quand un critique décide de critiquer un géant de la littérature ? Plutôt que de critique, il faudrait parler «d'avis» ou «d'appréciation». Faulkner, comme Joyce, est de lecture difficile, sa trame romanesque peut paraître embrouillée, chaotique, compliquée par une écriture parfois obscure, énigmatique, Mais ses romans vous happent comme une déferlante, s'éclairent à la progression de l'intrigue, et vous illuminent, façon apothéose.

Lumière d'août est l'entrecroisement de trois histoires : Lena Grove est une très jeune fille, originaire de l'Alabama, enceinte et dont la grossesse est très avancée : elle a marché un mois pour atteindre Jefferson dans le Mississipi, où elle espère retrouver Lucas Burch, celui qui l'a engrossée et qui avait promis de venir la retrouver, sa situation faite. Elle découvrira qu'il est effectivement à Jefferson, mais qu'il se cache sous un autre nom. Cet être sans consistance est un sot qui s'envolera dès qu'il prendra conscience de ses responsabilités. Quand à Léna qui ouvre le roman, se présente comme un personnage simple, crédule, elle le ferme également, son bébé dans les bras, sereine, dégageant une certaine lumière, un chevalier servant à ses pieds, dont elle se fout un peu, montrant qu'elle sait ce qu'elle veut. La deuxième histoire, la plus importante, gravite autour de Christmas : conçu par un homme supposé métis, abandonné par sa mère qui le conduit dans un orphelinat pour enfants blancs, il vit une expérience traumatisante quand il assiste à six ans à une relation sexuelle entre un jeune médecin et la diététicienne de l'hospice, qui n'aura de cesse de se débarrasser de celui qui pourrait la dénoncer, même s'il n'a rien compris à ce qui se passait. Il «tombe» dans une famille d'accueil rigide, le père puritain sévère, la mère soumise, culpabilisée, que Christmas déteste. Jeune adulte fugueur, il laisse son père adoptif pour mort après une rixe dans une salle de bal. Il s'enfuit, vagabonde, puis s'installe à Jefferson, travaille à la scierie, séduit Miss Joanna Custen, une bourgeoise solitaire qui s'occupe à secourir la communauté noire de Memphis. Quand, après sa phase érotomane, elle fait appel à la religion pour le convaincre de s'engager avec elle, il la tue. Il s'enfuit, mais sera repris et exécuté. La troisième histoire, pathétique, est celle du pasteur Hightower, petit fils d'un soldat confédéré, esclavagiste, auquel il s'identifie, et qu'il glorifie avec verve dans ses prêches. Cette attitude démentielle lui vaut d'être excommunié. Auparavant, sa femme qui le trompait, s'était suicidée. Hightower est l'ombre de lui-même. Il ne reçoit pas de visite, en dehors de celle de Byron Bunch. Personnage moins brillant, ce dernier est une sorte de ciment entre les autres protagonistes. Transparent, sans malice, il tombe amoureux de Lena et et se veut son protecteur, à défaut de réciprocité. de même il veut sauver Christmas, mais ce sera en vain.

La narration est faulknérienne, elle ne suit aucun ordre, le temps est éclaté, évolue en boucle, le passé et le présent s'emmêlent, les points de vue sont multiples, s'enchevêtrent, sont l'objet de répétitions quand les protagonistes changent. le texte ne respecte pas le lecteur, vite largué devant ces phrases où les propositions relatives se multiplient, tout comme les négations et les doubles négations, les interrogations, les contradictions dans l'énoncé de multiples adjectifs qualificatifs. mais passons, tout en ayant une pensée pour le traducteur, un fidèle de Faulkner. On ne se lance dans l'oeuvre de cet auteur, si on ignore les obstacles de lecture qui nous attendent.

Attardons nous plutôt sur les thèmes qui traversent l'ouvrage. L'action se déroule dans le Sud, le Mississippi reste marqué par la guerre de Sécession - comment en témoigne le Révérend Hightower, fasciné par la charge de confédérés à laquelle participa son grand-père -, il n'y a plus d'esclavage, mais la ségrégation est là, et même si Christmas a la peau claire, un type méditerranéen, dès qu'on sait qu'il a du sang noir, la relation change, et parfois les insultes racistes fusent. Même quand il est accepté, Christmas est hanté par son ascendance qu'il vit comme une malédiction corrompant ses actions, ses amours, sa destinée. Cela étant, Faulkner s'étend sur l'antiracisme de ceux qu'on traite de Nordistes, des abolitionnistes, à l'exemple de Miss Custen et de sa famille. La religion est omniprésente mais se manifeste plus fortement sous la forme du puritanisme du père adoptif de Christmas, de la bigoterie de certaines femmes. La misogynie de Faukner mérite d'être disputée, et peut-être intégrée dans une misanthropie plus générale, et une approche de la sexualité complexe. L'ivresse et la violence des hommes entre eux, des hommes avec les femmes, la capacité de ces dernières à se jouer des hommes, à les manipuler, la capacité des hommes à exercer sur les femmes une brutalité parfois fatale. Lena, elle, appartient à un autre monde : cette jeune fille en apparence douce, simple, est une figure de l'innocence et de la fécondité, même si sa grossesse puis son enfant lui servent de masque, de bouclier. Elle cherche son géniteur, mais n'appartient à personne, c'est sa force !

Une question subsiste : la lecture Faulkner nous saisit, nous questionne aussi. On croit qu'en écrivant sur lui, on peut mieux le comprendre. Mais est-ce le cas ?

Lien : https://lireecrireediter.ove..
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