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Critique de Antyryia



"Qu'aurais-tu fait à la place de Max ?" dédicace Claire Favan aux lecteurs de son sixième roman, Dompteur d'anges.
C'est ce qu'on va voir.
 
1 / Vous êtes donc Max. Vous n'avez pas vraiment bien démarré dans la vie. Votre père vous a rejeté avant même votre naissance, votre mère est morte trop tôt.
Et pour ne rien arranger, vous êtes condamné à tort pour le viol et le meurtre d'un jeune prodige. Tentez quand même de vous expliquer en allant au 2.
 
2 / Après avoir proclamé votre innocence au policier qui vous a surpris sur les lieux du crime, à votre avocat commis d'office, au juge et aux jurés du tribunal, la sentance tombe : vous serez incarcéré à vie. Trahi en quelque sorte par le système, par la société ici représentée par la structure judiciaire qui vous a broyé, vous vous retrouvez emprisonné avec les pires criminels qui, sous l'oeil approbateur des gardiens, vous tabassent, vous violent et vous torturent.
Et puis enfin, cinq ans et mille points de suture plus tard, vous retrouvez la liberté quand le véritable coupable avoue son crime. Que faîtes-vous ?
- Vous tentez tant bien que mal de vous réinsérer dans la société ? Rendez - vous au 3.
- Vous décidez de vous venger de tous ceux qui avaient juré votre perte alors même que vous clamiez votre innocence ? Rendez-vous au 4.
 
3 / Vous avez décidé de pardonner. Vous vous reconstruisez tant bien que mal une existence. Vous faîtes à nouveau des petits boulots manuels et croisez de nouvelles personnes dans une ville où personne ne connaît votre passé. Vous taillez la haie d'une jeune femme qui vous trouve à son goût et là, c'est le coup de foudre. La vie semble vous sourire enfin ! Un soir, vous rentrez la rejoindre et vous retrouvez votre nouvelle compagne morte. Vous la prenez dans vos bras et constatez que ses yeux ont été énucléés, que ses doigts ont été tranchés et qu'elle a été égorgée. Vous avez du sang partout sur vous. C'est ainsi que la police, alertée par les voisins, vous retrouve. Retournez au 2.
 
4 / Vous êtes riche désormais, grâce au dédommagement de l'Etat pour le préjudice subi. Comment dépenser votre argent pour parfaire au mieux votre vengeance ?
- Si vous achetez un château pour y emprisonner tous ceux qui ont participé à votre chute et les juger à votre tour, dirigez-vous vers le 5.
- Si vous achetez une caravane en vue d'enlever les jeunes enfants de vos bourreaux, allez au 6.
 
5 / Vous vous êtes trompé d'histoire ! Lisez plutôt la nouvelle de Karine Giébel dans la dernière édition de 13 à table intitulée J'ai appris le silence. Votre périple s'arrête donc ici sauf si vous changez d'avis et vous frayez un chemin au 6.
 
6 / Vous enlevez donc les enfants ou petits-enfants de vos tortionnaires, quelques uns de ceux qui ont contribué à vous démolir sans jamais vouloir entendre ni la raison, ni votre version des faits. Vous les choisissez jeunes et manipulables. Pour vous accompagner, vous avez trouvé la frêle Suzie, qui est tombée sous le charme de vos cicatrices et qui serait prête à tout pour vous être agréable, y compris à créer des diversions pour vous aider à accomplir vos méfaits maintenant que vous êtes devenu un monstre. Si vous ne trouvez pas tout cela très crédible, rendez-vous au 7, sinon poursuivez votre parcours vengeur au 8.
 
7 / Ne raisonnez pas ainsi ! Vous vous priveriez d'une histoire fabuleusement monstrueuse. Alors oui, c'est parfois tiré par les cheveux mais c'est nécessaire pour créer une intrigue aussi inédite, en outre le rythme est extrèmement rapide et tout ne nous est pas dévoilé, à vous de combler les ellipses temporelles de ce concentré de folie furieuse. Lisez si besoin l'histoire de Max comme une fable noire sur la justice plutôt que comme un thriller, mais ce serait une erreur de faire l'impasse parce que ça ne vous paraît pas très crédible. Si vous êtes convaincu, courez vite au 8. Sinon votre aventure s'arrête là.
 
8 / Ca y est ! Vos anges devenus guerriers sont prêts ! Vous les avez bien éduqués en les privant de dessert ou en les dressant tels des fauves avec votre ceinture en guise de fouet. Vous les avez divisés pour mieux régner. Vous pouvez les lancer ! Ce sont eux qui vont accomplir votre vengeance ! Par où allez-vous commencer ?
- Si vous préférez commencer doucement en envoyant vos protégés commettre un simple vol en guise d'entraînement, emmenez-les au 9.
- Si vous pensez qu'ils sont prêts pour leur premier meurtre, envoyez-les au 10 retrouver votre ancien compagnon de cellule, celui-là même qui aimait un peu trop les câlins.
 
9 / Vos marionnettes reviennent quelques heures plus tard avec leur butin. L'un a triché, le second a été plus brutal que nécessaire, le troisième a beaucoup pleuré. Vous estimez qu'il faut encore peaufiner leur éducation de petit soldat obéissant avant de viser plus haut et vous allez chercher un nouvau manuel sur l'embrigadement au 11.
 
10 / Vous avez été présomptueux. Vos jeunes recrues n'étaient pas encore prêtes. La victime désignée a réagi promptement et a neutralisé puis enfermé les petits innocents dans sa cave, dont la trappe est dissimulée par un tapis moisi. Qu'à cela ne tienne ! Vous vous faîtes discret quelques années et reprenez de zéro votre ambitieux projet d'annihilation. Quand vous serez prêt, retournez au 6.
 
11 / Vous détestez la société mais vous êtes prêt à quelques entorses quand ça vous arrange, et les livres font partie de ces exceptions. A la librairie, alors que vous recherchez un nouveau documentaire sur la manipulation pour parfaire l'éducation de vos petits monstres, vous croisez tour à tour une biographie de l'agent du FBI Sausser, une adaptation romanesque de la série à l'eau de rose "Sans pitié, ni territoires" : des noms qui sonnent comme d'étranges clins d'oeil. Puis votre regard est irrésistiblement attiré par un polar édité chez la bête noire signé Clare Favant.
- Si vous pensez qu'il s'agit de Serre-moi fort, rendez-vous au 12.
- Si c'est Dompteur d'anges que vous venez de remarquer, rendez-vous au 13.
 
12 / Vous feuilletez le roman mais vous tombez malencontreusement sur un passage assez violent se déroulant dans une prison qui vous rappelle de très mauvais souvenirs. Vous préférez donc le reposer et vous emparer de Dompteur d'anges. Courez vite au 13.
 
13 / La couverture est vraiment somptueuse : Une volière ouverte, des plumes de trois couleurs qui laissent entendre que des créatures ailées se sont battues, le titre évocateur scintillant de flammes. Vous le prenez sans hésiter. le soir même, alors que Suzie regarde encore une série sentimentale à la télévision, vous l'entamez après avoir enchaîné vos trois garçons. Et là, vous ne pouvez plus vous arrêter. Vous vous dîtes que ces auteurs français n'ont vraiment plus rien à envier aux américains, et que celle-ci en particulier est à ranger au côté des plus grands. L'intrigue est sombre et machiavélique. La construction, brillante, vous rappelle les romans policiers de Pierre Lemaitre ou chaque partie offre un angle d'approche totalement nouveau et imprévu. Vous vous surprenez à vous attacher à des monstres et à détester des victimes, sans plus savoir situer les frontières du bien et du mal. Les pages se tournent encore et encore. Vous anticipez certains rebondissements mais ne voyez absolument pas venir d'autres retournements de situations. Vous vous interrogez sur l'impact de ce roman sur la société : son nombre d'acheteurs, les nuits blanches - ou tout au moins raccourcies - qu'il va procurer à des milliers de lecteurs : c'est toute l'économie qui risque d'être fragilisée. Vous passez par toute une gamme d'émotions alors même que vous les pensiez tues à jamais : la révolte, le choc, la peur. Y a-t-il plus amoral que de s'en prendre à des enfants et à leur innocence ? Comme condamner un innocent à perpétuité ? Vous réfléchissez aux failles judiciaires, à la fragilité des esprits.
Et soudain, vous vous rendez compte que c'est de vous qu'on parle. Que l'auteure a depuis le début une bonne longueur d'avance sur vous.
Si vous décidez que finalement votre vengeance n'en vaut pas la peine, qu'il est encore temps de tout arrêter, alors libérez vos otages et allez au 3.
Si vous voulez continuer sans regrets votre quête, alors vous savez ce qui vous reste à faire. Dirigez vers l'ultime paragraphe, le 14.
 
14 / Elle en sait trop cette française. Cette femme est dangereuse. Elle a un immense talent et vous éprouvez presque du remords à l'idée de ne pouvoir lire son prochain manuscrit mais il faut la faire taire avant que tout ne soit compromis.
Il s'agit d'une mission de la plus haute importance. Laquelle de vos créations armée et ailée allez-vous envoyer rendre une dernière visite à Clare Favant ?
- Votre séraphin brutal armé d'une batte de base-ball ?
- Votre chérubin subtil et discret qui manipule l'arme blanche à la perfection ?
- Ou votre angelot fourbe muni de son arme à feu ?

Je vous laisse le soin de conclure.

Quant à moi, je me contenterais de remercier Claire Favan ( la vraie ) pour son sens de la démesure et toutes les surprises, la tension, le malaise et le suspense qu'elle a réussi à susciter chez moi depuis le tueur intime. Et cette fois encore.
Rendez-vous l'année prochaine j'espère et d'ici là, prenez garde aux anges.

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