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Critique de audelagandre


Il était une fois, un écrivain à l'esprit tortueux déterminé à faire peur à ses lecteurs. Il s'y prenait tellement bien qu'ils ne pouvaient plus fermer l'oeil et avaient pris la décision de ne plus le lire la nuit. de jour, en plein soleil, d'autres phénomènes survenaient… des haut-le-coeur, des nausées et, parfois, de franches envies de vomir obligeant ledit lecteur à refermer, une fois encore, le terrible ouvrage qui serre le coeur et les tripes. C'est ennuyeux de le voir posé là, sur le bord de la table basse et de ne pas avoir le courage de l'approcher de peur qu'il vous brûle ou annihile toute forme de raison… C'est contrariant de ne pas pouvoir le résumer, c'est frustrant de ne pas savoir comment l'aborder. Et pourtant… une fois refermé, ce livre risque de vous manquer !

« Je ne dis pas la vérité, je dis ce qui aurait dû être la vérité. » Voilà qui pourrait résumer le nouveau roman de Jérémy Fel. « Nous sommes les chasseurs » est une oeuvre atypique, écrite par un auteur atypique, habité par des démons intérieurs, des fantômes et des esprits, louvoyant entre réalité et fiction, jouant avec l'espace-temps, s'aventurant dans de nombreux lieux grâce à moult personnages. Il part à la recherche des origines du Mal, ce qui fait souffrir et ce qui est réprouvé par la Morale, en décrypte les différentes sources en créant un arbre gigantesque, aux ramifications complexes, dont les racines s'entremêlent, se brouillent et s'obscurcissent. Durant dix chapitres, il mélange fiction et réalité, insère l'un dans l'autre, utilise des faits divers qu'il tord à dessein, construit et déconstruit, s'autorise même des aller-retour « uchroniques ». Différents pays, différentes époques, différents personnages se séparent, puis fusionnent, laissant le lecteur à la fois circonspect et curieux. Dix chapitres, comme dix nouvelles, ayant chacun leur univers propre, une histoire à raconter, un évènement à éclaircir, une problématique à dénouer.

C'est cela que je retiendrai principalement de « Nous sommes les chasseurs » : Fel s'autorise tout, ne se fixe ni barrières ni limites, exploite toutes les formes de narration, tous les genres littéraires, toutes ses références culturelles en faisant toujours la place belle à l'imaginaire qui prend littéralement possession de cette oeuvre. Il n'hésite pas non plus à utiliser ses propres fêlures comme la mort de son jumeau, à nourrir une forme de schizophrénie narrative pour offrir un texte qui aurait pu s'appeler Enfer et Damnation.

Rejet ou admiration, l'oeuvre de Jérémy Fel ne laissera pas insensible, et c'est pour moi l'essentiel à retenir. À vous de placer votre propre curseur sur ce que vous pouvez supporter ou pas. Il me faut avouer que la lecture de certains passages a été insoutenable : rejet. Que certaines scènes atroces, les pires que j'ai pu lire sont restées gravées dans ma tête : rejet. Si j'analyse posément l'effet que le livre a eu sur moi et l'indubitable volonté de son auteur à marquer les esprits tant sur la forme que sur le fond : admiration. Naviguer à vue, sans savoir si je me trouvais dans un recueil de nouvelles ou dans un roman dans lequel j'avais l'impression de ne pouvoir suivre aucun véritable fil conducteur : rejet. Si je dissèque la qualité de l'écriture, l'audace de la narration, l'originalité, l'incroyable esprit d'initiative, parfois même l'insolence du récit : admiration. Si je reprends « Nous sommes les chasseurs » dans sa globalité : ADMIRATION TOTALE, une véritable ode à l'imaginaire.

Voilà comment je me suis sentie durant cette lecture, sans cesse entre deux eaux, constamment tiraillée par la décision d'un abandon définitif et l'envie d'en connaître la fin, admirative de cette capacité à inoculer, parfois par la force, des émotions totalement contradictoires, exaspérée par l'impossibilité de mettre le doigt sur ce que l'auteur cherche à nous dire, mais aussi bluffée par le génie créatif. Puis arrivent les deux cents dernières pages et avec elles, le sentiment qu'une boucle est en train de se refermer progressivement, la certitude que quelque chose de puissant et d'éblouissant arrive. le chapitre 9 qui prépare, puis le chapitre 10 qui clôture transforment ce qui s'apparentait à un recueil de nouvelles en roman. Avec cette boucle enfin bouclée jaillit la lumière tant attendue. Cette fin magistralement imaginée, originale, presque une déclaration d'amour m'a fait oublier le sentiment de rejet que j'ai pu avoir à certains passages où j'en voulais terriblement à l'écrivain de m'avoir collé de telles images sur la rétine.

Il faut savoir dans quoi vous vous engagez lorsque vous ouvrirez « Nous sommes les chasseurs ». À mon avis, ce n'est pas un livre qui se « dévore » en quelques heures, c'est un récit dense, complexe, aux ramifications multiples, sans unité de temps, sans unité de lieu (si ce n'est un manoir qui revient de manière récurrente) que traversent beaucoup de personnages (dont l'un d'eux revient fréquemment nous hanter). Vous devez accepter de ne pas tout comprendre, de combler les trous laissés par Fel avec votre propre imagination, consentir et admettre qu'il n'y a pas qu'une seule vérité de lecture, mais autant de vérités de lectures possibles que de lecteurs, qu'il vous embarque dans un dédale aux multiples déclinaisons, et que le Mal sous toutes ses formes peut à tout moment s'infiltrer sous vos chairs et accéder à votre âme.

Cette année, j'ai classé 3 romans dans la catégorie « ovni littéraire ». Je me dois de rajouter celui-ci.

Le propre de la littérature est de faire ressentir des émotions et dans « Nous sommes les chasseurs » elles sont innombrables, puissantes et souvent délirantes… Personne ne pourra mieux parler de ce livre que vous, lecteur. Tentez-le. Cette citation attribuée à un réalisateur vaut pour ce roman : « Le film doit pour lui se vivre comme une expérience sensorielle. le rationnel n'y a pas sa place. » Voilà le mot de la fin : une véritable expérience sensorielle.

Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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