Nous sommes les chasseurs

A l’hôpital, j’ai eu tout le temps de réfléchir à la situation. Je suis en paix avec ça. Je suis persuadé que ce virus est une sorte de régulation de la nature ou un truc du genre. On est déjà trop sur cette putain de planète. On a déjà tué je ne sais pas combien d’espèces animales, on pollue et on bétonne tout ce qui nous entoure. C’est normal que la nature se défende avant que ce ne soit trop tard.

Nous sommes si habitués à soumettre les espèces que nous considérons inférieures qu'il nous est impossible d'imaginer que ça puisse être notre tour, n'est-ce pas ?

- Oui, après tout il est mon jumeau... Et d'ailleurs je viens d'apprendre sur lnternet que mon nom, "Fel", voulait dire "cruel, impitoyable, violent" en ancien français. Comme quoi...
- Mais cette violence, vous comprenez qu'on continue de vous la reprocher?
- Pour tout vous dire, non. J'ai toujours trouvé cette remarque assez étrange, et je me demande souvent dans quel monde vivent les gens qui me reprochent la violence de mes livres, ou plutôt dans quel monde ils pensent vivre...

Edith et Albert sont postés à la fenêtre de leur chambre et, à cette distance, paraissent encore plus âgés, leurs enveloppes charnelles si proches de leur futur état de cadavre, déjà hantées par leurs fantômes.

Car, me dit-elle, si c'est écrit, si beaucoup de gens le lisent et s'en persuadent à leur tour, c'est que c'est vrai, n'est-ce-pas ?

Les vivants deviendraient fous s’ils savaient le nombre de fantômes avec lesquels ils cohabitent. Et Karl repense à celui qui a perturbé nombre de nuits de sa propre enfance, comprend qu’il a toujours sangloté dans le noir à raison, qu’il n’a jamais été seul dans sa petite chambre sous les toits, contrairement à ce que lui promettaient ses parents pour l’apaiser.

Il n'a plus la télévision depuis longtemps, plus de radio, plus d'accès à Internet. Il ne veut plus avoir de nouvelles de cette civilisation qui avance vers son extinction avec une soif dévorante.

Il sait, lui, ce qu'être abandonné signifie, tout ce que cela provoque en soi et autour de soi, tout ce que cela casse, broie.

Grégory s’installe à côté de Lucas à l’arrière de la voiture, et attache sa ceinture. Quand Gabriel démarre, il garde le visage tourné vers la maison, mais est incapable de voir cette main très pâle qui se plaque contre une des lucarnes encrassées de la cave.