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Critique de YvesParis


Niall Ferguson est une star sans équivalent de ce côté-ci de la Manche. Un mélange détonnant entre Thomas Piketty et Jacques Attali. Comme le premier, c'est au départ un universitaire, spécialiste de l'histoire de la finance, qui consacra ses premiers travaux aux conséquences économiques de la Première guerre mondiale et à l'histoire de la banque Rothschild. Comme le second, il produit à marche forcée des synthèses ébouriffantes sur l'histoire du monde, animé d'un louable effort de vulgarisation mais non exempt de critiquables raccourcis simplificateurs.
Ses ouvrages aux titres ronflants (The World's banker, , Empire, Colossus, The War of the World, The Ascent of Money, Civilization) n'ont pas été traduits en français à l'exception des deux derniers. Ils ont pourtant eu un grand retentissement au Royaume-Uni, dont cet ancien élève d'Oxford et de Cambridge est originaire, et aux États-Unis où il s'est installé avec sa seconde épouse, l'ancienne députée néerlandaise d'origine somalienne Ayaan Hirsi Ali. Car Niall Ferguson défend sabre au clair des thèses politiquement incorrectes. Empire était une ode nostalgique à l'Empire britannique, Colossus un plaidoyer en faveur de la politique néoconservatrice menée par les États-Unis.
Civilization (bizarrement traduit Civilisations) a autant sinon plus d'ambitions que ses précédents ouvrages. Il s'agit, selon les propres termes de son auteur, de répondre à « la question la plus intéressante que puisse se poser un historien de la modernité » (p. 9) : comment l'Europe occidentale a-t-elle réussi à imposer, depuis cinq siècles environ, ses valeurs et son mode de vie à l'ensemble du monde ? Niall Ferguson explique cette domination par six « applis fatales » (six killer apps) : la concurrence, la science, le droit de propriété, la médecine, la société de consommation et l'éthique du travail. Chaque chapitre du livre (et chacun des six épisodes de la série documentaire qu'a diffusée Channel 4 à la sortie du livre) montre comment la civilisation occidentale a successivement maîtrisé chacune de ces « applications » alors que les autres civilisations n'y sont pas parvenues.

Plus que la pertinence de ces six choix, dont on peut débattre à l'infini, c'est la démarche de Niall Ferguson qui mérite qu'on s'y arrête. Sur la forme : son livre est à la fois chronologique et thématique. C'est sa principale force : il réussit à dynamiser une histoire du monde moderne en six chapitres qui fourmille d'anecdotes et séduira un large public. Mais c'est aussi sa principale faiblesse : à vouloir tout à la fois suivre la chronologie et organiser son propos selon six grands axes thématiques, Niall Ferguson saute du coq à l'âne, n'évite pas quelques retours en arrière ou verse dans le hors sujet
Sur le fond : Niall Ferguson articule avec force deux théories difficilement compatibles. Il oppose – c'est le sous-titre de son ouvrage – « the West » et « The Rest » - oubliant au passage d'attribuer la paternité de cette expression à Samuel Huntington – tout en affirmant que la modernité pourrait s'acquérir en téléchargeant des « applis fatales ». Comme Huntington avant lui, il exhorte l'Occident au sursaut, une réaction salvatrice qui, selon lui, passerait moins dans le combat d'un ennemi réel ou fantasmé (« ce n'est pas l'essor de la Chine ou de l'islam, ni les émissions de CO² qui nous menacent le plus … ») que dans le retour aux valeurs occidentales fondamentales (« … mais notre perte de foi dans la civilisation que nous avons héritée de nos ancêtres »). Mais cet appel miroite avec la démonstration d'une « Grande Reconvergence » - par référence au titre de l'ouvrage de Kenneth Pomeranz The Great Divergence : si le reste du monde nous rattrape en téléchargeant nos « applis fatales », en d'autres termes si le monde s'occidentalise, faut-il s'en alarmer ?
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