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Critique de berni_29


L'élégance des veuves est ce mouvement de la vie sans relâche, qu'on pourrait presque considérer comme sans faille, ce mouvement de femmes, de mères, ce mouvement qui donne la vie, l'insuffle, la partage, la répète follement dans un désir presque sans fin malgré les trébuchements, les blessures et les deuils.
Et puis continuer d'enfanter, sans relâche...
C'est un court roman d'Alice Ferney, un peu plus d'une centaine de pages pour traverser une centaine d'années ou presque, elles suffisent à dire quelques vies, celles de Valentine, Mathilde, Gabrielle, Clotilde et les autres... Ces femmes d'une autre époque qui viennent vers nous, certaines au fil des générations qui finissent par ressembler aux femmes que j'ai aimées...
La vie est là, scintillante, parfois solaire, parfois tâtonnante aussi... Et puis la mort vient et transforme des femmes éprises d'amour et de désir en veuves inconsolables ou presque. Parfois c'est comme un trou au ventre. Parfois c'est un vide qu'on arrivera à combler sans peine.
Ce roman intime dit la mort qui vient, qui frappe sans prévenir, c'est le froid et le noir. Elle frappe souvent les femmes ici, des mères, c'est un destin qui se propage à travers les générations...
L'enchantement de la vie n'est jamais loin, avant et après...
Ce sont des gestes qui chassent les cauchemars au bord du sommeil, des gestes de mères...
Parfois tout est confus dans une existence, la vie que l'on donne, l'amour que l'on prend, la peur, l'effroi qui surprend, les joies, l'attente, les blessures...
La fatigue, la douceur extrême, l'abnégation...
À force, le malheur devient comme un goût qu'on finit par apprendre.
Se sentir trop vulnérable pour affronter le monde.
La mort d'un être aimé transforme à jamais celle qui reste, mais rester où ? Au bord de la berge comme une passante silencieuse ? Continuer d'avancer contre les vents parfois contraires ? Continuer de parler seule désormais, ou seule avec les enfants à élever...? Il faut rester pour les enfants qui continuent eux d'être gais comme des pinsons, ils ne comprendraient pas qu'on les abandonnent encore un peu, une fois encore...
Ce roman dit la promesse de vies aux trajectoires presque parfaites au début. C'est plus tard, après, que les routes finissent par ne plus ressembler à des droites très rectilignes.
Oublier que le sort de la vie peut parfois être injuste. Parfois la résignation ne suffit plus...
Et puis, parfois il faut crier comme une louve qui protège ses enfants, crier encore plus fort, dévastée par la douleur lorsque la mort en prend un, voir mourir un de ses enfants contre l'ordre des choses est tragédie insupportable. Car les veuves dans cette histoire perdent aussi des enfants...
Traverser les tourments. Questionner le sort. Pourquoi ?
Puis, il faut revenir du côté de la vie, des siens, et un jour se mettre de nouveau à pleurer, et cette fois, de bonheur... Car il y a des bonheurs dans ces histoires.
Accepter d'être déçu aussi par celles et ceux qui survivent. Se dire qu'on a peut-être raté quelque chose et que ce n'est pas grave.
Questionner la vie, nos vies, nos vies parfois froissées comme du papier ; pour tout cela les livres sont indispensables pour raconter ces vies qui nous hantent, nous regarder ou regarder celles et ceux qu'on aime au travers du miroir des pages, aider à trouver sa place dans ce dédale.
Le chemin de l'écriture,- et plus tard celui de la lecture, aide, est fraternel.
C'est à cela qu'on reconnaît le mystère profond des livres.
Les secrets de famille, les guerres, le poids de la religion, hormis le caractère bourgeois de cette famille, il me semble reconnaître le paysage de ce livre à chacune de ses pages, comme si je l'avais côtoyé...
Je me suis retrouvé dans ce récit qui est une invitation.
On pourrait se dire que ce roman est triste, évoque le chagrin, mais il est incroyablement façonné de joies aussi, de rires, de désirs... C'est un hymne à la vie...
Ainsi ce livre m'a rappelé une autre histoire, celle de ma famille, des veuves de ma famille, ma grand-mère tout d'abord veuve à trente-six ans. Mon grand-père mourut à la suite d'un accident de travail en 1926 en participant à la construction d'un pont en face de la rade de Brest. Il fit une chute a priori sans trop de gravité, son chef d'équipe lui dit de rentrer chez lui. Il prit son vélo, il lui restait quinze kilomètres à faire jusqu'au domicile devant lequel il s'écroula en entrant dans un coma irréversible durant huit jours. Il fut emmené à l'hôpital. Ma grand-mère entendit de nouveau frapper une semaine plus tard à la porte, cette fois c'était la nuit, elle ouvrit, il n'y avait personne ; le lendemain matin, en se rendant à l'hôpital on lui apprit que son époux était mort au milieu de la nuit à l'heure où elle entendit frapper à la porte... Ma grand-mère était enceinte de ma mère lorsque ce décès arriva. Ma mère à son tour devint veuve une première fois à l'âge de dix-huit ans si l'on considère que le jeune homme du même âge qu'elle, qui l'aimait et qu'elle aimait, qui lui avait fait un enfant, était le premier homme de sa vie, peut-être qui sait le seul, l'unique amour de sa vie... Elle s'était réfugiée chez une tante de Normandie pour fuir ce que l'on considérait alors comme une forme de déshonneur, devenir une fille-mère, elle était enceinte de ma soeur qui naquit trois jours après que le père de l'enfant fut fusillé par la Gestapo en 1944... Chose surprenante, ma mère devenait veuve tout comme sa mère, en portant un enfant... Et c'est en lisant ce livre, en écrivant ces lignes que je m'aperçois brusquement que personne n'avait jusqu'à présent dans ma famille clairement fait ce parallèle, mais peut-être est-ce une simple coïncidence...
L'élégance des veuves, c'est le silence, les non-dits, c'est se taire, terrer cette douleur dans le ventre, serrer les dents tandis que les enfants pleurent là-bas dans la chambre, ou peut-être rient, le bruit est parfois tellement confus dans les battements d'un seul coeur...
Dans un livre empli d'humanité, Alice Ferney dit ces histoires de femmes, de mères, de filles, dans une écriture très belle et très forte, avec grâce, sensibilité, justesse, comme si elle avait vécu tout cela, comme si Valentine, Mathilde, Gabrielle, Clotilde et les autres appartenaient à sa famille, comme si nous étions là parmi les femmes de cette famille...
Presque notre famille...
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