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Critique de Bouteyalamer


Antonia meurt accidentellement sur une route de Corse. Son parrain, dont le nom n'est pas cité, est le prêtre du village. Ferrari développe son roman en deux séquences imbriquées, une séquence courte, la méditation du parrain qui célèbre le service funèbre, et une séquence longue, la maturation d'Antonia de son adolescence à sa mort. Chacun des 12 chapitres a deux exergues : une étape de la liturgie et la référence d'une photographie.

Le parrain effondré médite sur la mort, le corps sacré, le péché et la rédemption, et l'on peut lire le titre du livre en déplaçant la majuscule : « à Son image ». « Il ne fallait pas fuir le spectacle de la mort. Il ne fallait pas l'embellir. Même meurtri et corrompu, même déserté par l'âme et figé dans une lourde inertie de chose, le corps demeurait sacré – et peut-être d'autant plus » (p 32). Après le massacre de Vukovar, sa filleule a pris une photo qu'elle ne publiera pas. « Antonia V. montre la photo à son parrain. C'est un péché, murmure-t-il. Ça ne sert à rien, dit Antonia. Tout le monde s'en moque. Et ça aussi, c'est le péché, ajoute son parrain. le péché du monde » (p 180). le prêtre clôt son sermon par la miséricorde à laquelle Antonia ne croyait pas.

Antonia progresse par paliers. Son parrain lui offre un appareil de photo pour ses 14 ans et elle se passionne pour l'image des siens. Quand sa famille est excédée, elle se consacre à de médiocres reportages pour une feuille locale. Un attentat lui fait découvrir la mort et le témoignage photographique. Elle se laisse alors emporter par le spectacle arrogant, sans mesure ni logique, de la violence indépendantiste. Elle découvre enfin l'indigence amoureuse, intellectuelle et politique de son homme et la médiocrité de son emploi. Après l'éclatement du FLNC en sectes antagonistes, elle quitte la Corse pour couvrir les guerres cruelles et incompréhensibles de l'ex-Yougoslavie. Elle découvre l'horreur au siège de Vukovar et apprend sur le tas le regard d'un photographe responsable : « Elle lui parle des photographies qu'elle a prises. du choc qu'elles vont certainement provoquer si elles sont publiées. Il essaye de la détromper gentiment. Aucune photo, aucun article n'a jusqu'ici provoqué aucun choc si ce n'est peut-être le choc inutile et éphémère de l'horreur ou de la compassion. Les gens ne veulent pas voir ça et s'ils le voient, ils préfèrent l'oublier. Ce n'est pas qu'ils soient méchants, égoïstes ou indifférents. Pas seulement, du moins. Mais c'est impossible de regarder ces choses en sachant qu'on ne peut rien y changer » (p 177). L'inutilité ou même l'obscénité du témoignage photographique lui font renoncer et elle accepte dans l'impasse de vivre d'une routine alimentaire. « À bien y réfléchir, l'écrasante majorité des photographes n'exerçaient pas un métier honorable, ils donnaient de l'importance à des sujets futiles, pire encore, ils fabriquaient de la futilité, et s'ils avaient de surcroît des prétentions artistiques, c'était encore bien pire, n'importe quel portrait de famille, fût-il flou ou mal cadré, valait infiniment plus que la plupart des photos de presse, pour ne rien dire de la publicité et de la mode où toutes les limites de l'ignominie étaient franchies sans vergogne si bien que les magazines les plus prestigieux n'étaient en fin de compte que des torchons plus répugnants encore que le quotidien régional pour lequel Antonia serait sans aucun doute condamnée à travailler toute sa vie » (p 82).

Le roman cite 12 photos de correspondants de guerre mais n'en contient aucune, sinon l'image suave de la jaquette (imposée par l'éditeur ?). Ferrari décrit la capture et la portée des images d'Antonia, mais jamais leur contenu. Ses phrases sont souvent longues, empreintes d'une tristesse réfléchie, rejetant le verbe, l'action ou l'information décisives à leur fin. le livre s'achève par le Libera me, où le prêtre se défend du doute par l'expression physique de la compassion : « Viens, mon garçon, dit-il en s'avançant et il étreint son neveu de toutes ses forces, l'aveuglant contre sa poitrine, pour le tenir un instant hors d'atteinte de la mort éternelle et du jour amer, dans l'abri dérisoire de ses bras » (p 219).
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