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Critique de oblo


oblo
20 décembre 2019
Comme dans le sermon sur la chute de Rome (qu'il précède dans la bibliographie de l'auteur), le bar de village de Balco Atlantico semble être le centre d'un monde en déliquescence où viennent se retrouver, voire s'échouer, des personnages qui oscillent entre le superbe et le lamentable. Roman qui parle notamment d'idéal comme principe directeur d'une vie, Balco Atlantico prend place dans une Corse traversée par les fièvres nationalistes et rêvée pourtant comme havre, comme refuge. Pour conter cette fresque à la fois banale et tragique, Jérôme Ferrari use d'un style tout en lyrisme et en longueur qui permet d'entrevoir les beautés fulgurantes et les affaissements inéluctables.

Derrière le comptoir de son bar, Marie-Angèle se désespère des amours immoraux de sa fille Virginie que l'on voit grandir, depuis l'enfance, et aimer passionnément un homme à en perdre la raison (presque) et la prudence (totalement). Hayet, son employée, est une immigrée marocaine qui vient de Larache. Là-bas, dans sa ville, elle avait l'habitude de se promener avec son frère Khaled, sur le balco atlantico, cette promenade qui fait face à l'océan et d'où l'on entraperçoit les horizons prometteurs. Khaled voulait venir en Europe pour travailler, et pour délivrer sa soeur de la vie qu'il imaginait, pour elle, pénible au Maroc. Derrière le bar, Théodore est un universitaire respecté que la mémoire fuit, ou plutôt qui est floué par elle. Ses souvenirs ont l'apparence des hallucinations, et rien de ce qu'il peut dire, de ce qu'il a cru vivre, n'a la solidité du réel. Il y a aussi les nationalistes, comme Vincent Léandri et Dominique Guerrini, légendes vivantes du combat pour une Corse indépendante, qui voient arriver les nouveaux visages du nationalisme, et surtout ceux d'égoïsmes bornés et dangereux, comme celui de Stéphane Campana, l'amant de Virginie.

Au début du roman, Marie-Angèle console sa fille Virginie qui vient de voir Stéphane Campana, mort, assassiné, devant le bar. Loin d'être l'épilogue sanglant d'une rivalité entre groupes nationalistes rivaux, cet assassinat est l'exemple contemporain des vendettas qui bouleversaient autrefois l'île, et qui ont tant fasciné Campana, historien avant d'être nationaliste. Est-ce alors un hasard si l'intrigue converge vers la résolution de cet assassinat, en tout cas vers l'explication de celui-ci, et se termine donc par cette dernière, enfermant le bar, la Corse et tous ces personnages dans une boucle dont ils ne pourront pas se tirer ? Pourtant, cet assassinat n'est que l'aboutissement d'idéaux personnels qui, entrant en collision et en confusion, ont déçu ou perdu ces personnages.

Virginie Susini a pour idéal Stéphane Campana, auquel elle voue une adoration. Lui, en retour, est un jeune homme intellectuellement brillant mais obnubilé par le corps des femmes qu'il n'a jamais touché ; il répond à l'adoration de Virginie en la mettant sur un piédestal (leur amour est strictement platonique) et en devenant le chef de file de la nouvelle génération de nationalistes. Campana s'élève à ces nouvelles fonctions et justifie l'adoration dont il est l'objet en acceptant la violence, et en acceptant de détacher le corps de l'esprit (notamment avec les femmes). En réalité, son idéal est son égo propre, qu'il satisfait en devenant une image d'homme, c'est-à-dire en collant à l'image qu'il s'en fait. S'il meurt tragiquement, il se perd bien avant, en donnant lui-même la mort. La mort, c'est ce qui perd aussi Vincent Léandri et Dominique Guerrini. Dominique la refuse (il conteste que les nationalistes puissent abattre des dealers maghrébins au nom d'une pureté tant sanitaire que nationale de l'île) et il en meurt ; Vincent accepte ces morts violentes et, partant, il se perd. Quant à Hayet et Khaled, c'est leur migration qui les perd. En Corse, le frère et la soeur se confrontent à la réalité de leur idéal, qui se traduit par leur séparation physique (ils ne vivent pas ensemble) et par la violence à laquelle ils vont se heurter (machisme de la gent masculine à l'égard de Hayet, qui confine au harcèlement, et violence physique et raciste envers Khaled). Pour Théodore, enfin, la mémoire fait figure d'idéal : un idéal poursuivi, recherché, traqué, à cause duquel il est interné en asile psychiatrique, et qui joue avec lui de façon très intime (jusqu'à lui faire douter de l'existence de sa famille). La quatrième de couverte parle de roman solaire : on dirait plutôt un roman crépusculaire, qui confondrait l'idéal comme escroquerie terrible, comme tyran personnel auquel on ne pourrait échapper que par la mort.
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