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Critique de Nastasia-B


J'étais restée très dubitative et moyennement convaincue par le précédent album des nouveaux auteurs d'Astérix, Jean-Yves Ferri et Didier Conrad. Allez savoir pourquoi, dès lors que j'entends des " super, génial, sensationnel, impayable, à mourir de rire " et autres superlatifs totalement vides de sens de nos jours, par un réflexe quasi pavlovien, je suis sur mes gardes et je ferme mes écoutilles.

D'ailleurs j'avais pris plusieurs années avant de lire pour de bon Astérix Chez Les Pictes. J'ai déjà exprimé mon manque d'enthousiasme à propos de cet album, n'y revenons plus. En revanche, vous allez m'entendre professer ici quelque chose de rare et que je n'ai jamais fait jusqu'à ce jour.

Pour la première fois, je considère que cet album égale voire est un peu meilleur que des Goscinny de second choix (du genre : Le Cadeau De César, Les Lauriers de César ou Astérix Le Gaulois). Je le redis car c'est un scoop : cet album est selon moi meilleur que les Goscinny moyens ou les plus faibles de la série. (Quand je parle des "plus faibles de la série ", je parle évidemment des vrais albums de l'ère Goscinny et Uderzo, je ne compte même pas ceux pondus par Albert Uderzo tout seul et qui ne valent pas tripette.) Bien plus que les Pictes, voici enfin l'album qu'on attendait, susceptible de plaire autant aux deux publics cibles (mais pour des raisons différentes, bien entendu : les enfants ne vont sans doute rien piper aux calembours par contre ils vont sûrement bien rigoler en entendant Panoramix se faire traiter de galopin turbulent par le vieux druide).

L'idée de départ est délicieuse et s'appuie sur l'activité qu'on connaît d'écrivain et de témoin historique à laquelle se livra César en écrivant son fameux Bellum Gallicum (ou De Bello Gallico). René Goscinny adorait partir d'un fait historique avéré et le parodier à sa façon, notamment en utilisant les anachronismes. Ici, on renoue donc avec cette pratique qui nous a procuré tant de satisfactions tout au long de la série, notamment dans Astérix Légionnaire.

On sait toutes les falsifications historiques auxquelles donna cours César dans le but de briller à Rome et de justifier son activité militaire hors mandat républicain. On sait aussi que Les Commentaires Sur La Guerre Des Gaules ne sont pas l'œuvre que du seul César et qu'il y fut manifestement bien aidé par Aulus Hirtius, l'un des premiers " nègres " de l'histoire littéraire.

Et là, le départ de l'aventure me semble réellement excellent. Jean-Yves Ferri détourne la situation historique et la fait coller admirablement aux travers de notre époque et à l'ère du numérique, caractérisée par son flux d'informations continu et pléthorique.

César écrit donc loyalement ce qui s'est passé lors de la conquête de la Gaule et se sent moralement obligé de rédiger un chapitre sur les échecs qu'il a connu avec les irréductibles gaulois. Néanmoins, son conseiller en communication, Promoplus (visiblement inspiré par Jacques Séguéla), lui suggère d'évincer ce chapitre qui pourrait nuire à sa réputation à Rome ainsi qu'à la fabrique de sa légende.

Tous les rouleaux du chapitre incriminé sont donc détruits…
— Tous ?
— Oui tous.
— Vraiment tous ?
— … euh, tous sauf un…
Et c'est une information qui n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd mais dans celle d'un Gaulois expatrié à Rome : Doublepolémix (apparemment inspiré par Julian Assange). (Je vous avoue que ne connaissant pas particulièrement le faciès ni de Séguéla, ni d'Assange, la ressemblance ne m'a pas frappée, mais cela doit venir de moi et, de toute façon, cela me place exactement dans les mêmes conditions que les enfants qui, eux non plus, ne connaissent probablement pas ces deux lascars.)

Je ne vous en dis pas davantage de peur de gâcher le scoop mais enfin, trente-huit ans presque jour pour jour après la disparition de Goscinny, un album lui arrive enfin à la cheville, et même un peu plus haut. Ce n'est pas trop tôt.

Ajoutons à cela que contrairement à tout ce qui c'était vu depuis la mort de René Goscinny, pour la première fois, on peut déceler un vrai message intéressant à l'adresse de la jeunesse. D'une part, la falsification de l'histoire, toujours écrite par les vainqueurs et ce quel que soit le conflit et quelle que soit l'époque. C'est toujours bon de rappeler aux enfants que tout ce qui est inscrit dans leurs livres d'histoire n'est peut-être qu'un morceau (voire un petit morceau) de la vérité historique.

Ensuite, l'autre message tout à fait d'actualité concerne la précieuse et salutaire mise en garde à propos de tout ce qui est écrit ; quoi que ce soit et d'où que cela vienne (et plus encore quand on nous assure que c'est la vérité). On n'a jamais reçu autant d'informations en même temps ; on croule littéralement sous l'information, donc notre vigilance diminue, si bien que pour attirer l'attention, l'on use et l'on abuse de procédés de communication qui n'ont rien d'innocents. La " com " comme on dit, et toutes les ombres qui l'accompagnent… D'ailleurs, " com " c'est aussi le début d'un autre mot très en vogue au XXIème siècle après J-C (Jules César) : le commerce… souvenez-vous-en, les enfants, sachez lire entre les lignes et même si cet album est la quintessence du commercial, ce message ne vous fera pas de mal…

Outre le fait qu'après un excellent début, l'aventure s'essouffle un tout petit peu par la suite, j'aurais seulement deux petits griefs à remonter aux auteurs. Tout d'abord, cette sale manie, à plusieurs endroits qu'a Jean-Yves Ferri d'expliquer ses calembours (de bonne qualité, par ailleurs, ce qui n'était pas toujours le cas dans Les Pictes) et ensuite, un bémol concernant Didier Conrad qui possède vraiment bien tous les personnages…
— Tous ?
— Oui, tous.
— Vraiment tous ?
— … euh, tous sauf un en fait.
— Lequel ?
— … j'ose pas trop vous le dire, chef.
— LEQUEL PAR JUPITER !!!
— … bah, je sais pas trop comment vous le dire, mais c'est un personnage qu'on voit de temps en temps, c'est…
— QUI ?? ACCOUCHE OU TU FINIRAS DANS L'ARÈNE !!!
— … Astérix, chef. Par moment, je ne sais pas…, il ne lui fait pas trop une bonne attitude… Pour tous les autres il se débrouille très bien… mais… Astérix…, je ne sais pas, il ne le sent pas toujours très bien…
— Bon j'en réfèrerai à César par pigeon spécial.
— … euh, dites lui bien, chef, que ce n'est que mon avis, hein, c'est-à-dire pas grand-chose, hein.
— On verra, on verra.
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