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Critique de CoolWriter


L'avez-vous déjà lu ? Michel Field. « L'homme aux pâtes »... roman ?

Un ovni dans le ciel…
Michel Field est à l'écriture ce que le Béluga, pour certains, est au caviar. le nec plus ultra ! Mercredi dernier, il était l'invité d'Ombres Blanches pour une signature. Où cela ? Au restaurant « Mille et une Pâtes », rue Mirepoix, bien sûr… Sympa !*

Article et entretien publiés le 26 décembre 1989, dans « le Journal de Toulouse ».

Vous avez un fils ? Une fille ? Qui aiment lire ? Avez-vous un ami, un amant, un mari ? Vous avez une amie, une maîtresse, une légitime ? Qui aiment lire… non pas en picorant les pages ou en léchant les images distraitement qui AIMENT lire passionnément ? Alors, un cadeau s'impose… le dernier roman de Michel Field, « L'homme aux pâtes », aux Éditions Bernard Barrault. Une fête culinaire !
Imaginez un instant : Rabelais, Proust, Molière, le Père Dumas, Flaubert, se tenant par la main pour écrire, tous ensemble, une bouffonnerie extraordinaire. N'imaginez plus. C'est là ! Inclassable ! A cheval sur toutes les frontières littéraires.
Le récit débute d'emblée sur un cri. Nous sommes à table. Ce dîner mondain auquel assiste la narrateur que l'on pourrait appeler Bartolomeo Scappi… Clara, son amie, l'a voulu pour fêter ses dix ans de radio, son cinquième divorce et de plus, tenter de reconquérir son directeur afin qu'il lui conserve son émission en nocturne. le narrateur, sollicité par Clara en perdition, a mitonné, avec un art consommé, des spaghettis aglio e olio, après moultes tergiversations. Ce sera l'occasion d'une rencontre tonitruante avec un personnage haut en couleurs, Angelo Lombardi, spécialiste intarissable des pâtes alimentaires.
Une épopée loufoque où l'érudition est reine. Une saga désopilante qui mêle les noeuds entre les jalousies et les ambitions des protagonistes, marionnettes et pantins. Michel nous décoiffe ; en historien, il extirpe du passé les recettes et modes de cuisson de toutes sortes de pâtes supportant la cuisson à l'eau. Diantre, elles foisonnent… Ricciarelle, lasagne, rigatoni, tortiglioni, millerighe et que sais-je encore ! Un kaléidoscope géant que cet écrivain fait fonctionner sur fond de farce. Commedia dell'arte. Ping-pong échevelé entre de grands moments cinématographiques et l'évocation de vins millésimés. Michel Field fait pérorer ses personnages intemporels, discourt joyeusement avec ses lecteurs qu'il prend par la manche, en aparté… Il fait un bras d'honneur espiègle à ceux des critiques littéraires qui seraient de trop malhabiles lecteurs. Il anticipe sur le mauvais papier qu'ils pourraient écrire : « le style est celui d'un brillant khâgneux. C'est dire que la profondeur y est superficielle et le brio gratuit. Quant à l'érudition complaisamment étalée, on se contentera de dire qu'elle est celle, encore appréciée pour certains, d'une bête de concours » (sic).
Michel, démiurge rigolo, fait dans l'autodérision. En fait, son écriture est tout le contraire. Magistralement novatrice ! Il sculpte son texte comme l'ébéniste écrit sur ses bois précieux… avec un profond respect pour l'ouvrage. le lire est comme une grande bouffée revigorante. Il fait partie des quelques illuminés qui recréent la littérature, avec une stylistique qui sera celle du XXIème siècle… Longues strophes haletantes, rhétorique surprenante, vous lisez ces tempos allègres comme l'on écoute les variations des airs de jazz. En jubilant !
Michel multiplie les repères, les clins d'oeil vers ses lecteurs. Il ose des pages d'écriture singulières que je vous laisse découvrir… Vous lirez les premières pages, tard le soir du Réveillon. À l'heure où les gosses ressemblent à des extra-terrestres avec leurs yeux comme des soucoupes volantes : « Maman – dodo – maison ! ». Vous ne pourrez plus lâcher l'objet du désir. Les heures passeront, envoûtantes. C'est un bouquin rare pour lequel, si on venait à me le prêter, j'aurai un tel besoin d'appropriation que j'irais l'acheter… pour pouvoir le prêter à mon tour à un ami en lui recommandant de s'aventurer jusqu'au bout pour apprécier ce feu d'artifice. Comme moi, vous tournerez la dernière page, malade. Mal au ventre d'avoir trop ri, éberlué. Je suis allé l'interroger sur l'enjeu de son style excentrique. À trente-cinq ans, il a l'humour en bandoulière, en philosophe qui aurait oublié d'être triste.




Un livre de cuisine littéraire.





Patrick Besset : Ce roman n'est-il pas une immense plaisanterie, un gigantesque canular ?

Michel Field : Je voulais faire raisonner ou travailler en métaphores, avec le type de plaisirs qu'on peut avoir quand on cuisine. Une sorte, comme ça, de plaisir du toucher, le plaisir des odeurs, etc. Je ne voulais pas que le travail d'écriture soit extérieur à son objet lui-même. C'est donc un livre de cuisine littéraire. Il y est beaucoup question de la cuisine de l'écriture et de tout ce que l'écriture contient de plaisirs. Il y a chez moi une nécessité de jouer sur la dérive des structures, sur les développements.

P.B. : L'omniprésence des sons… te relis-tu à voix haute lorsque tu écris ?

Michel Field : C'est curieux, car c'est très important, il y a une grande importance donnée aux assonances… alors que je ne lis jamais mon texte à haute voix. Je dois donc avoir une voix intérieure qui résonne fort, dans le même temps que j'écris. Je suis fasciné par la voix qui m'intéresse comme problème philosophique. Pour moi, la pâte des mots est aussi la pâte des sons, c'est aussi tous les jeux d'évocation et d'assonances.

P.B. : Il m'a plu de voir que tu utilises à chaque fois le juste mot, très pointu, sans craindre de faire achopper le lecteur.

Michel Field : Pour moi, le métier dont je me sens le plus proche, peut-être parce que je suis très infirme de mes mains, et pour lequel j'ai une admiration absolument totale est celle d'ébéniste. Un métier d'artisan, avec des exigences. Si le mot n'est pas connu par mon lecteur, je suis content qu'il puisse aller vers le dictionnaire. C'est une dérive, un plaisir supplémentaire, ce ne doit pas être gênant pour le lecteur… juste une voie d'accès royale au dictionnaire, qui est peut-être le plus beau des livres.

P.B. : Les pages étranges que le lecteur découvrira… c'est une volonté de de révolutionner la façon de narrer ?

Michel Field : C'est pour casser l'habitude ou la connivence qui peut exister entre le lecteur et son auteur. C'est une façon de rappeler le lecteur à l'ordre… Rien ne me déplaît plus que le confort de lecture, quel qu'il soit ! Chaque livre que je lis est comme une aventure, j'ai envie qu'on me trouble, qu'on me propose des chemins de traverse, plein de ronces. J'ai utilisé la grève du narrateur, la page blanche, le jeu des signes, des fausses pistes… j'ai écrit ce livre comme un livre que j'aurais voulu lire !

P.B. : Au début du chapitre III, des pages folles m'ont fait éclater de rire. J'ai été obligé d'interrompre ma lecture… pour souffler, avant de reprendre le court du récit. le roman n'aurait-il pas dû commencer là ? C'est dingue de parvenir à tenir le lecteur en haleine avec une telle force pendant ces soixante-treize pages !

Michel Field : J'ai voulu saturer le récit jusque là… afin de provoquer une rupture. C'est un effet de contraste. Je pense à une chose, là… en te répondant. Il y a eu un très, très beau film, fait sur le tournage de « Fanny et Alexandre » de Bergman. Il dirigeait les enfants et les adultes en leur demandant de moins jouer par moment ; il leur disait qu'il ne fallait pas avoir peur de moments plus plats, apparemment moins signifiants. Ces moments étaient importants… C'est une image qui est très présente. J'avais envie d'engager le livre sur une fausse piste, qui n'en est pas une tout à fait. L'intrusion, vraiment en rupture, de Lombardi. Je voulais VRAAAAAIMENT qu'elle fasse péter un truc ! Et je pense que ça aurait perdu de cette force, du moins c'est le pari que j'ai fait, si j'avais eu besoin d'un peu de plat, avant de poursuivre…

« L'homme au pâtes » par Michel Field, chez Bernard Barrault – 311 pages, 120 francs, soit 28,30 francs les 100 grammes.
Quand Michel Field se présente à nous... campionissimo, al dente !
Chez « J'ai Lu » sous le n° 3825.
Lien : http://patrickbesset.blogspo..
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