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Critique de cprevost


La Science et la Technique envahissent chaque moment de nos vies et pourtant elles semblent peu présentes dans l'univers romanesque contemporain (ou sinon, sous la forme très peu réaliste d'une certaine science fiction). Celles qui, bien réelles et naturalisées par nos sociétés de consommation, s'imposent sans qu'on les voit, sont peu sujet de fiction. Pourtant, elles matricent nos existences et parfois sans vergogne peuvent les détruire. Il fallait toute l'audace d'un premier roman pour faire d'une centrale nucléaire et de ses salariés intérimaires les héros clandestins d'un véritable roman.

La menace des rayons ionisants est impalpable. le film sur la poitrine sera ultérieurement lu et il est impossible de sortir sans cesse le stylo dosimétrique que l'on a dans sa poche. L'ingénieur radio protection, qui se cache derrière le pilier en béton lourd, a dit que nous avions vingt minutes chacun pour démonter le convertisseur électrons positrons. Les collègues, qui en ont tant vu, semblent ne pas hésiter et pourtant tous ceux de l'équipe avant nous sont morts de cancer. Eux aussi mouront d'une tumeur mais ils ne le savent pas encore. La direction technique hors de la tranchée où se trouve l'accélérateur de particules, les nombreux et impatients chercheurs qui ne sont jamais même venus jusque là, tous exigent que la machine soit réparée. Ce sont là mes premières expériences de travail. La répulsion, l'engagement, la peur, la tension permanente, l'obsession de la dose, tout ce que ressentent ces ouvriers clandestins de la centrale et qui est si justement décrit par Elisabeth Filhol, ne m'est donc pas complètement étranger. L'auteur n'explique pas les personnages, il les montre. Il fait preuve d'une grande précision documentaire et c'est pourquoi – contrairement à la critique littéraire – il est toujours si juste. Comme le chantait Ferrat « ce n'est pas par plaisir que le torero danse… ». Les salariés des entreprises de sous-traitance qui s'approchent du coeur du réacteur n'ont bien entendu aucune attirance pour ce travail et ils ne forment nullement une fratrie (sic). Lorsque nous faisons le sacrifice que le monde moderne exige de nous, nous sommes le plus souvent lâches et très peu solidaires, à moins que nous ne soyons carrément inconscients ou idiots. Si le travailleur du nucléaire est en effet si attentif à l'autre c'est qu'il le renvoie à lui-même et à sa peur. Lorsqu'un collègue refuse une intervention, il vous met violemment en face de vos responsabilités ; lorsqu'un radio protectionniste vous autorise à prendre une dose de rayonnement, il minimise aussi celles qu'il a déjà prises. L'aveuglement n'est-il pas toujours préférable dans ces cas là ?

« La centrale », bien ancrée dans le monde contemporain, est une oeuvre littéraire à part entière et surtout pas un documentaire. C'est pourquoi elle est si juste et si passionnante. le récit y est très savamment architecturé. La chronologie disloquée nous permet de passer du dehors au dedans de l'inquiétante centrale. La phrase est longue, jalonnée d'incises lorsqu'elle décrit un paysage ou une situation. Elle est au contraire courte et nerveuse lorsqu'elle dit l'effroi, l'anxiété. Ce livre servit par un style très efficace met à jour tout un monde. Il est à lire de toute urgence.
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