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sur 238 notes
« Garantir le bon fonctionnement de 58 réacteurs implantés dans 19 centrales nucléaires réparties dans l'Hexagone… C'est le défi que relève EDF en programmant les arrêts de tranche, ces arrêts périodiques des centrales nucléaires qui permettent de renouveler le combustible et de procéder à des opérations de contrôle et de maintenance. Et cela sans impact pour les clients. »

Ca c'est le texte qu'on trouve sur le site EDF dédié à l'entretien des centrales nucléaires destinées à la production d'électricité. Bien entendu le site est à l'usage des consommateurs, on n'y parle donc pas de l'impact sur les ouvriers de maintenance…
Avec La Centrale, on pénètre un monde étrange, marginal, dans lequel évoluent de jeunes types (peu de femmes semble-t-il dans cet univers...) qui, à l'instar des Compagnons du Devoir ou des Compagnons du tour de France, sillonnent le territoire français en suivant l'implantation des centrales nucléaires : ce sont les ouvriers de la sous-traitance dans le nucléaire qui nettoient les réacteurs des centrales lors des « arrêts de tranche », ces périodes ou les centrales s'arrêtent pour des missions d'entretiens. Cette population ouvrière travaille dans des conditions qui laissent rêveur. Soumis aux rayonnements radioactifs lors de leurs activités, ils subissent en plus une pression énorme : chaque journée d'arrêt de tranche d'une centrale coûtant un million d'euros à EDF, tout doit aller très vite. Les contraintes liées à la sous-traitance sont énormes. Certains d'entre eux sont nomades et se déplacent au gré des chantiers. Les doses radioactives ingérées sont importantes…
Au-delà des risques directs liés au métier (absorption élevés de doses radioactives) qui font des ces ouvriers des espèces de kamikazes, Elisabeth Filhol expose ce système qui consiste à sous-traiter l'emploi des ouvriers de maintenance par des agences d'intérim : une manne pour des jeunes types peu diplômés ayant connu des périodes de chômage, à condition de pouvoir se déplacer et se loger à ses frais dans toute la France, de supporter les conditions de logement précaires, et surtout de garder son sang-froid en toutes circonstances sous peine de s'exposer à la dose de trop qui les exclut du circuit ; pas d'émotion dans ce récit, des faits, des faits glacés soulignés par une écriture sèche et percutante, dans des phrases au long cours qui deviennent tout à coup très courtes.
Ce roman d'un monde très masculin écrit au féminin m'a rappelé et par le thème et par l'écriture, le roman de Maylis de Kerangal, « Naissance d'un pont » et j'ai beaucoup apprécié l'écriture d'Elisabeth Filhol.
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Je crois que c'est un des livres les plus forts que j'ai lu cette année.
Avec une langue neutre, froide et distanciée, ce roman nous fait pénétrer dans l'univers glacé de la Centrale. ses multiples sas et ses très strictes procédures mènent quelques hommes en son coeur bleu.
Cette Centrale fascine et effraie, attire et révulse, mais sa puissance est multiple et implacable. Elle en impose par sa stature, sa dangerosité, sa haute technicité, et sa beauté vénéneuse.
Elisabeth Filhol nous la décrit avec assez de poésie pour nous faire mesurer l'ambivalence des émotions qu'elle produit chez ceux qui pénètrent en son sein.
L'essentiel du livre n'est pourtant pas dans cette prouesse d'écriture qui nous parle de technique et qui nous décrit par le menu l'environnement des centrales nucléaires en produisant des images et des atmosphères dans une gamme subtile d'émotions.
L'essentiel se trouve dans les mots du narrateur qui raconte lors de flash-back judicieusement agencés, son expérience d'intérimaire en tant qu'agent DATR;
Entendre : Agent Directement Affecté Aux Radiations.
Il fait partie de cette sorte de compagnonnage des années 2000, faisant le tour de France des Centrales au rythme de contrats à durée déterminée et subissant à la fois, nomadisme, précarité et haut risque permanent.
Nous découvrons cet univers fermé et masculin, solidaire et en souffrance, d'hommes tiraillés par le choix de vie qu'ils ne comprennent pas toujours.
Ils sont pris au piège.
La violence qui leur est faite est extrême et certains semblent y répondre en redoublant de courage pour affronter les missions...
Une colère froide émane de ce texte cinglant.
C'est sans aucun doute un livre qui marque, une oeuvre littéraire qui met à jour sans fards la condition d'ouvriers "brûlés", de ceux qui font le sale boulot auquel les statutaires ont échappé, et qu'EDF est contente d'avoir "délocalisé".
Un des passages que j'ai trouvé particulièrement émouvant sur cette condition est celui qui évoque la formation payante pour le personnel intérimaire.
Elle est nécessaire et obligatoire pour obtenir le poste, mais elle est à la charge du futur employé.
A lire, vraiment!
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La centrale, un essai sur le nucléaire.

Pour avoir côtoyé le nucléaire dans ma vie professionnelle, je reconnais que ce livre peut paraître froid et difficile à tout lecteur qui n'a pas reçu une (in)formation sur cette forme d'énergie.

Cependant, cet ouvrage se décompose en deux sujets. Un sur le nucléaire, son emploi à des fins domestiques, et le fonctionnement d'une centrale. Alors que le deuxième thème abordé, que je ne connaissais pas, est celui des ouvriers du nucléaire. Pas ceux qui travaillent chez EDF, ceux qui sont en sous-traitance ou sous statut d'intérimaires et qui parcourent la France toute l'année pour participer aux chantiers de maintenance des centrales.

C'est sur ce point que, à mon sens, qu'il y a un apport de ce livre, par son thème sociologique. On y découvre des personnes techniquement expérimentées, qui vont de site en site, tels des compagnons du devoir. Leurs compétences et leurs formations rares assurent à ces hommes, car c'est un secteur très masculin, de trouver toujours un emploi. Soumis aux contrôles permanents, ils acceptent le risque de l'exposition aux rayonnements. Ils vivent avec cette épée de Damoclès, traduite en millisievert. La majorité aime ce risque car ils ont le sentiment de vivre dans un groupe à part, travailleurs de l'extrême. C'est le salaire de la peur.

Je pense également que cet ouvrage peut se lire différemment selon sa vision sur l'énergie nucléaire. Que l'on soit pour ou contre, la prouesse de l'auteure est de pouvoir nous donner l'occasion de confirmer nos convictions sur ce sujet, à tel point que finalement je n'ai pas réussi à savoir si l'écrivaine, elle-même, était favorable ou non. A vous de jugez !
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Prix France Culture-Télérama 2010
Premier Roman. Livre choc qui décrit les conditions de travail des ouvriers de maintenace dans les centrales nucléaires françaises. D'une écriture sèche et dépouillée, l'auteur dénonce la précarité et le risque permanent qui les entoure. Un roman coup de poing qui pose aussi la question des sécurités publiques.

08/04/2010
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Un livre qui fait froid dans le dos .
Ici on se retrouve au coeur du dispositif nucléaire civil français .
Aux cotés de ceux qui le font vivre .
Ces "forçats" du 21 éme siécle , qui voient leur santé détruite au quotidien par les radiations .
Ces annonymes , qui se sacrifient pour une misére .
Ce livre est fort , il est impitoyable pour dénoncer les dangers intolérables du nucléaire .
L'aspect documentaire est omniprésent , reléguant au second plan l'aspect romanesque .
Il est un peu délicat de classer ce livre dans la catégorie roman .
L'on est clairement en présence d'une oeuvre documentaire , et cela est importantpour le lecteur .
Il peut ainsi voir de trés prés les conditions de travail dramatiques de ces hommes , dans ce millieu ou l'humain plie devant le poids des lobbys .
Un livre important qu'il faut lire et faire découvrir .
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Ce livre qui a inspiré la réalisatrice Rebecca Zlotowski pour "Grand Central" avec Tahar Rahim, Léa Seydoux et Olivier Gourmet dans les principaux rôles, nous plonge dans l'univers finalement trop peu connu des travailleurs du nucléaire.
Contrairement au film qui situe l'action, en extérieurs, autour de la centrale ardéchoise de Cruas et sur les rives du Rhône, Élisabeth Filhol nous emmène d'abord à Chinon, au bord de la Loire, puis au Blayais, en Gironde..
Dès les premières lignes, nous apprenons que « trois salariés sont morts au cours des six derniers mois », et que, sur les 2 000 personnes employées sur place, la moitié seulement est sous statut EDF. Ainsi, l'auteure s'attache aux pas d'un intérimaire, Yann, qui s'exprime à la première personne mettant le lecteur au coeur de la vie de ces ouvriers salariés des sociétés prestataires de services pour les CNPE (Centres nucléaires de production d'électricité).
Pour « cette chair à neutrons. Viande à rem », le souci principal est de ne pas dépasser la dose maximum d'irradiation sur douze mois, soit 20 millisieverts, car cela signifie arrêt brutal du contrat, mise au vert. L'irradié, appelé DATR (Directement affecté aux travaux sous rayonnement) est d'ailleurs aussitôt remplacé.
Élisabeth Filhol n'oublie pas les problèmes de logement pour ces hommes qui se déplacent d'un arrêt de tranche à un autre afin d'assurer la maintenance et la recharge en combustible. le camping, en caravane, est le plus souvent choisi, en colocation, car il est trop difficile de trouver une chambre libre à proximité.
Au fil des pages, nous rencontrons aussi ceux qui agissent pour alerter l'opinion sur les dangers du nucléaire et dont Yann ne se sent pas solidaire. Son souci principal, c'est le dosimètre qui risque, à tout moment, de s'affoler et de compromettre des mois de travail.
« Une énergie colossale, contenue, tout est là, dans un confinement qui ne demande qu'à être rompu pour donner toute sa mesure. » Ce livre nous rappelle tout ce que contient de menace, ce qui est maintenant devenu assez familier dans nos paysages.
"La Centrale" est un livre court, incisif, percutant, émouvant, à lire absolument tellement il ouvre des portes sur un monde si proche de nous et pourtant méconnu.


Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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La Science et la Technique envahissent chaque moment de nos vies et pourtant elles semblent peu présentes dans l'univers romanesque contemporain (ou sinon, sous la forme très peu réaliste d'une certaine science fiction). Celles qui, bien réelles et naturalisées par nos sociétés de consommation, s'imposent sans qu'on les voit, sont peu sujet de fiction. Pourtant, elles matricent nos existences et parfois sans vergogne peuvent les détruire. Il fallait toute l'audace d'un premier roman pour faire d'une centrale nucléaire et de ses salariés intérimaires les héros clandestins d'un véritable roman.

La menace des rayons ionisants est impalpable. le film sur la poitrine sera ultérieurement lu et il est impossible de sortir sans cesse le stylo dosimétrique que l'on a dans sa poche. L'ingénieur radio protection, qui se cache derrière le pilier en béton lourd, a dit que nous avions vingt minutes chacun pour démonter le convertisseur électrons positrons. Les collègues, qui en ont tant vu, semblent ne pas hésiter et pourtant tous ceux de l'équipe avant nous sont morts de cancer. Eux aussi mouront d'une tumeur mais ils ne le savent pas encore. La direction technique hors de la tranchée où se trouve l'accélérateur de particules, les nombreux et impatients chercheurs qui ne sont jamais même venus jusque là, tous exigent que la machine soit réparée. Ce sont là mes premières expériences de travail. La répulsion, l'engagement, la peur, la tension permanente, l'obsession de la dose, tout ce que ressentent ces ouvriers clandestins de la centrale et qui est si justement décrit par Elisabeth Filhol, ne m'est donc pas complètement étranger. L'auteur n'explique pas les personnages, il les montre. Il fait preuve d'une grande précision documentaire et c'est pourquoi – contrairement à la critique littéraire – il est toujours si juste. Comme le chantait Ferrat « ce n'est pas par plaisir que le torero danse… ». Les salariés des entreprises de sous-traitance qui s'approchent du coeur du réacteur n'ont bien entendu aucune attirance pour ce travail et ils ne forment nullement une fratrie (sic). Lorsque nous faisons le sacrifice que le monde moderne exige de nous, nous sommes le plus souvent lâches et très peu solidaires, à moins que nous ne soyons carrément inconscients ou idiots. Si le travailleur du nucléaire est en effet si attentif à l'autre c'est qu'il le renvoie à lui-même et à sa peur. Lorsqu'un collègue refuse une intervention, il vous met violemment en face de vos responsabilités ; lorsqu'un radio protectionniste vous autorise à prendre une dose de rayonnement, il minimise aussi celles qu'il a déjà prises. L'aveuglement n'est-il pas toujours préférable dans ces cas là ?

« La centrale », bien ancrée dans le monde contemporain, est une oeuvre littéraire à part entière et surtout pas un documentaire. C'est pourquoi elle est si juste et si passionnante. le récit y est très savamment architecturé. La chronologie disloquée nous permet de passer du dehors au dedans de l'inquiétante centrale. La phrase est longue, jalonnée d'incises lorsqu'elle décrit un paysage ou une situation. Elle est au contraire courte et nerveuse lorsqu'elle dit l'effroi, l'anxiété. Ce livre servit par un style très efficace met à jour tout un monde. Il est à lire de toute urgence.
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Le roman "La centrale" d'Élisabeth Filhol raconte de manière très documentée la vie des intérimaires sous-traitants dans les centrales nucléaires de l'hexagone et sa périphérie. Ces ouvriers de l'ombre sont chargés de leur entretien lors des arrêts de tranche. Payés en smicards, ils sont les plus exposés aux risques des radiations: "Chair à neutrons. Viande à rem." le dosimètre les sanctionne en cas d'incident : mise au vert temporaire, chômage forcé. Mais les doses encaissées ne s'effacent jamais. Aucune enquête n'est faite aujourd'hui chez ces travailleurs sur les potentielles conséquences graves d'expositions à des doses «faibles»; elles rappellent les dégâts sous-estimés de l'amiante. Des voix s'élèvent aussi pour dénoncer la sous-traitance dans les centrales qui permettrait de diluer les responsabilités.
Les réacteurs nucléaires belges ont également recours à ces centaines de travailleurs nomades, hébergés en motel, camping ou caravanes le temps de la maintenance. Ils épargnent aux statutaires les expositions les plus néfastes: la part des radiations prise par les intérimaires s'élèverait à 80%.

La presse a reçu ce beau premier roman, en 2010, de façon unanimement positive : il est parcouru tout du long par une énergie aussi violente et maîtrisée que celle d'une centrale et, en nous conduisant au coeur du réacteur, Élisabeth Filhol ne vous épargnera pas le frisson que chacun éprouve devant les imposants cônes de béton. Celle qui me l'a conseillé ne l'aurait pas fait sans y déceler un réel talent littéraire et de fait, l'écriture est moderne, enlevée avec une patte qui exclut toute monotonie journalistique qu'un roman social peut laisser craindre.

Vous serez aux côtés de ceux qui entrent dans les entrailles de la machine, ceux qui ont une tranche de quelques minutes au plus pour exécuter leur mission, afin de ne pas grever le quota de radiations. Ramasser un outil oublié au fond d'une cuve peut-être dramatique; certains ne résistent pas à toutes les pressions, d'autres sont aimantés par le point central grisant "d'où toute l'énergie primaire est issue. S'en approcher au plus près, sentir son souffle."
Vous comprendrez mieux comment fonctionnent ces monstres, comment dans le détail à Tchernobyl les limites ont été dépassées. Car ce court récit (90 pages) en forme de témoignage élégamment romancé, constitue en même temps un document instructif.

Lien : http://christianwery.blogspo..
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L'auteur nous entraîne dans le parcours du combattant des DATR, ces hommes "directement affectés aux travaux sous rayonnements" et qui se baladent sur les 19 sites nucléaires français afin d'effectuer la toilette des 58 réacteurs en service. 80% des travaux de maintenance y sont effectués par des employés intérimaires, véritables nomades de l'atome qui traquent les missions au gré des arrêts de tranche des centrales de l'Hexagone. Quand la bête est au repos, à eux les bains de vapeur et les plongeons dans des piscines dont l'eau d'un bleu si merveilleux ferait presque regretter qu'on les vide avant d'y entrer. Dans leurs beaux costumes blancs dits Mururoa, pas le temps de se mirer dans les plaques et les parois de cuves qu'ils astiquent et serpillent comme de simples techniciennes de surface et, parce qu'ils le valent bien, on leur file un joli bracelet qui affiche le chrono et la dose de bienfaits que procure cette charmante thalasso, faut tout de même pas abuser des bonnes choses... Ceux qui sont claustrophobes peuvent toujours aller faire un stage de varappe dans les tours réfrigérantes en compagnie des légionelles et des amibes, le tout dans une ambiance chlorée à souhait.

Bon, j'arrête ce ton badin, pur réflexe défensif de ma part mais qui ne sied pas à la gravité du sujet, pour me joindre au concert de louanges qui a accueilli ce livre lors de sa sortie.

Selon la formule consacrée, on pourrait dire que c'est clair, net et précis (sauf que, si on est comme moi du genre nul en physique, et si on ne fait pas l'effort de rechercher un schéma, on est vite perdu dans la technologie de la chose). Mais l'essentiel n'est pas là puisque chacun sait qu'entrer dans ce truc s'apparente plus à une descente aux enfers qu'à une cure de jouvence et qu'il faut une bonne dose de maîtrise de soi et des nerfs solides à moins de se la jouer fangio et de fonctionner à l'adrénaline.

L'avenir à court terme de ces hommes est proportionnel à leur taux de radiations accumulées au cours de l'année. Quand le maximum est atteint, plus de boulot ou alors les plus crades, hors zone d'exposition, mais qui vous font regretter la pression des plus dangeureux; quand il y a encore de la marge, ils sont toujours assurés, qu'en poussant la porte d'une des agences d'intérim qui pullulent toujours autour des centrales, de signer un contrat. L'avenir à long terme est beaucoup plus incertain...

Ce livre se lit comme un reportage, le ton est sobre et direct. C'est une histoire d'hommes, pas de femmes dans cet univers. Une histoire d'amitié qui dit à peine son nom, de solidarité sans trop de démonstration,. Beaucoup de pudeur et aucun jugement envers ceux qui craquent, ni face à la fascination que le nucléaire exerce sur certains, encore moins envers ceux qui le combattent. Une histoire de solitude sans pathos, juste l'obsession d'un mec au quotidien qui a besoin de bosser.

A lire absolument pour regarder son ordi ou son radiateur d'un autre oeil.


Lien : http://moustafette.canalblog..
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De Chinon au Blayais, du fleuve Loire à l'estuaire de la Gironde, voici le parcours de Yann, un travailleur précaire, qui nous est conté. Un travailleur bien particulier, identifié par des initiales : DATR ou « directement affecté aux travaux sous rayonnements » (p. 15). Yann travaille en effet dans des centrales nucléaires à l'occasion des arrêts de tranche :

Sur les deux mille salariés qui entrent ce jour-là dans la centrale de Chinon, « la moitié seulement a le statut EDF d'agent ». Yann poursuit : « Les autres, comme moi, ne sont là que pour les trois à cinq semaines que dure un arrêt de tranche, maintenance du réacteur et rechargement en combustible, de mars à octobre les chantiers se succèdent à travers la France et les hommes se déplacent d'un site à l'autre, tous salariés des sociétés prestataires » (p. 11).

L'accident nucléaire de Fukushima a récemment marqué les esprits. Il y a 25 ans, le 26 avril 1986, se produisait la catastrophe de Tchernobyl. La lecture de « La Centrale » d'Elisabeth Filhol, écrit en 2010, prenait ainsi pour moi tout son sens. Ce qui m'intéressait également, quand j'ai lu la quatrième de couverture, c'était de découvrir une facette singulière du travail précaire. Je n'ai pas été déçue par la lecture de ce roman.

J'ai tout d'abord particulièrement apprécié l'écriture de l'auteure : une écriture tout en objectivité mais derrière laquelle j'ai ressenti des émotions, une écriture en retenue qui laisse filtrer une sensibilité. Une écriture poétique, précise, travaillée à la virgule près. Une écriture qui se laisse emporter par des digressions (cela m'a d'ailleurs rappelé quelques caractéristiques de l'écriture de Maylis de Kerangal dans « Corniche Kennedy » ou « Naissance d'un pont »).

J'ai apprécié les descriptions des centrales nucléaires (l'intérieur : j'ai été marquée par la description de la qualité de la couleur bleue des piscines -, l'extérieur) : elles sont à la fois magnifiques sur le plan esthétique et peuvent faire penser à un univers de science-fiction, mais aussi terrifiantes : cet univers est bien réel et nous questionne à de multiples niveaux. J'ai beaucoup appris concernant le fonctionnement des centrales nucléaires. J'ai retenu quelques mots-clés : nécessité d'un refroidisseur (rivière, mer ou aéroréfrigérant), circuit primaire fermé, circuit secondaire fermé, barres d'arrêt d'urgence, barres de contrôle… Derrière ce discours très objectif, très neutre, l'auteure a-telle voulu dénoncer une réalité ?

J'ai aimé suivre le parcours de Yann, un travailleur précaire. Yann s'interroge à demi-mots sur ce qui pousse un homme à devenir travailleur DATR : la facilité à décrocher et renouveler les contrats ? le goût du risque ? L'aventure est en effet dangereuse et l'Homme a essayé de contrôler au mieux les risques. Yann explique ce que signifie DATR : « Directement affecté aux travaux sous rayonnements » à la fois d'un point de vue objectif (comment les dirigeants ont rationnalisé ce sigle) et d'un point de vue subjectif (ce que cela implique concrètement pour les salariés et comment ils le vivent) :

« Avec un plafond annuel et un quota d'irradiation qui est le même pour tous, simplement certains en matière d'exposition sont plus chanceux que d'autres, et ceux-là traversent l'année sans épuiser leur quota et font la jonction avec l'année suivante, tandis que d'autres sont dans le rouge dès le mois de mai, et il faut encore tenir juillet, août et septembre qui sont des mois chauds et sous haute tension, parce qu'au fil des chantiers la fatigue s'accumule et le risque augmente, par manque d'efficacité ou de vigilance, de recevoir la dose de trop, celle qui va vous mettre hors jeu jusqu'à la saison prochaine, les quelques millisieverts de capital qu'il vous reste, les voir fondre comme neige au soleil, ça devient une obsession, on ne pense qu'à ça, au réveil, au vestiaire, les yeux rivés sur le dosimètre pendant l'intervention, jusqu'à s'en prendre à la réglementation qui a diminué de moitié le quota, en oubliant ce que ça signifie à long terme. Chair à neutrons. Viande à rem. » (p. 15-16).

Le style se veut objectif, distancié, présentant de multiples descriptions techniques que je n'ai jamais trouvé lassantes. Ce roman est court (un peu moins de 150 pages) et se lit d'une traite. Un livre salutaire avec le récent accident nucléaire au Japon qui permet de réfléchir aux implications du nucléaire, sur le plan humain et environnemental. Un vrai coup de coeur !
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