Citations sur Les derniers jours de la classe ouvrière (30)
Tu crois que ce n'est pas la forme moderne de la tyrannie, toi, les petits despotes de l'entreprise, les DRH et managers comme ils disent, tu crois que c'est mieux que les seigneurs du Moyen-âge, toi, les gens qui tremblent du matin au soir pour leur place, qui ne savent pas d'une semaine à l'autre comment ils travailleront et combien ils seront payés ? (p.86)
Exilés d'une patrie absente, ils ne pouvaient abandonner cette terre sans drapeau et sans langue à force d'en changer, cette terre de conquête aux frontières si mouvantes qu'elles en disparaissaient, cette terre que l'on violait comme une femme à chaque soubresaut de l'histoire, pour qui l'on se battait comme pour un amour déshonoré. Ils restèrent en Lorraine et moururent.
Certains professeurs s'évertuaient à faire étudier Germinal, sans réel succès. Manque de dépaysement. Ou simplement l'agacement des histoires cent fois racontées. Pourquoi remuer les terrils d'un vieux siècle quand toute l'histoire du fer était à sauver. La mémoire du passé le cédait à l'urgence du présent. Et peut-être au fatalisme.
Plus tard, une fois coupé le cordon nourricier reliant cette histoire-là aux plus jeunes, le roman ramènerait avec la mélancolie de l'enfance l'orgueil d'en avoir été.
Entre temps, le Mur était tombé. Tout le pire avait été révélé, avéré. C'était plus qu'un idéal, c'était une vie, c'étaient mille vies, bafouées, réduites à néant. Comment continuer à être communiste après ça, après tout ce gâchis, et comment décider subitement de ne plus l'être quand dans vos tripes, tout crie que votre combat à vous, en France, dans le Pays-Haut, était juste.
Personne n'avait donc décidé, un jour, l'arrêt de la production, délocalisation, personne n'avait proclamé que désormais, après un siècle de loyaux services, la minette lorraine, teneur en fer, 27-30%, devait être remplacée par une jeunette brésilienne, suédoise, à 60-70%? Les chiffres irréfutables, raides comme l'injustice. L'avenir n'était donc pas le fruit du passé, il n'y avait pas de responsable, pas de coupables ici, à cet assassinat?
Juste les matières techniques, bonne pour le travail, et l'orthographe bien sûr, les lauriers du pauvre, l'orthographe irréprochable, pas une erreur. La police de l'écrit. Être agréable à celui qui vous lit. Ne pas laisser trahir, sauf justement peut-être dans cette obsession-là, de la perfection, dans cet excessif respect de l'autorité d'en face, sinon ne pas laisser trahir l'origine populaire, et la pauvreté, la misère, non, ne pas mettre mal à l'aise celui qui vous lira.
C'est alors bombance, le retour au pays des fils prodigues. Les italiens ne les envient pourtant pas. Ils imaginent la Siberia francese froide et laide et ils n'ont pas tout à fait tort.
Ils ont les pieds liés, comme s'il y avait quelque part où s'enfuir.
On apprenait "la rose et le réséda ", et cette plante mystérieuse, par la grâce de l'alliteration, devenait emblème des classes laborieuses luttant pour libérer la liberté.
Le communisme, c'était toujours ailleurs, toujours demain.