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Poème :
Don total
De moi-même
Au moment
Où
La mer
Me traverse
D'un coup
Et où
Suis
Transformée
Légère
En embruns
De lettres
Miserere
(chœur a capella)
Pitié pour les hommes-nuages
Qui combattent effroi aux frontières
De la folie Humains sans être humains
N’en faites pas des proscrits
des hors-la-vie
Au-delà des séjours vitaux
Premier secours urgence
Sauve-qui-peut accident mental
Hôpitaux peuvent être lieux où devenir
« Fou »
Ô vous mes frères énigmatiques et si maigres !
Pitié pour vos cerveaux qui crient
D’absolu dans la nuit spirituelle
Pitié pour vos crânes lourds de savoir
Qui éclairent la terre de chacun
De leurs os Pitié pour vos crânes
Avec de grands trous noirs
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La mer sait.
Le mot que tu cherches
N'est pas seulement un mot.
Mais un mot-geste
Par lequel porter secours.
Un mot qui porte
L'autre
Comme la mer te porte
Quand tu nages.
La mer sait.
Mot-geste
Il brille dans le limon
Obscur de la poésie
Quand les voyelles
Tremblent
De toute leur chair
ouverte
SUPPLIQUE AU PÈRE MORT
Venisti
extrait 3
Mais le père me regarde sans répondre. Pas
Un mot. Le savoir pourtant. Toute sa vie
Le père a été un Sisyphe. Il avait une énorme
Pierre sur la langue qui l’empêchait de parler.
Il a passé sa vie à essayer de soulever cette pierre
Et de la faire sortir de sa bouche. Mais la pierre
Glissait à chaque fois dans la gorge jusqu’au
Tréfonds de l’œsophage. Serais-je descendue
Jusqu’à lui au royaume des morts pour découvrir
Que même dans la mort il est resté muet ? Même
Dans la mort ? Ou n’est-ce qu’avec moi qu’il est ce mort
Muet ? Souffrant dans tous les os tenter alors
D’étreindre de mes bras ouverts le père
Mort Mais ne pas y parvenir Son corps
Mort toujours m’échappe L’étreinte
Impossible dans la vie l’est-elle aussi dans la mort ?
« Par trois fois Énée tenta d’entourer de ses bras le cou de son père ;
Par trois fois en vain il a saisi l’image qui lui échappe des mains,
Telle une brise légère, et très pareille à un songe qui s’envole. »
« Par levibus ventis volucrique simillima somno. »
Tandem
Carnet d’hôpital
(soliloque)
On dit : « Toucher le fond »
Mais y en a-t-il seulement un
« Fond » quand tout s’effondre ?
SUPPLIQUE AU PÈRE MORT
Venisti
extrait 2
Avoir dans l’oreille les mots par lesquels Anchise
Mort a accueilli son fils Énée descendu aux enfers :
« Venisti tandem ! » « Tu es venu enfin ! »
Aurais tant aimé que le père m’accueille
Par cette formule en français ou en allemand :
« Endlich bist du gekommen ! » Hélas
Rien. À ma vue le père ne dit rien. À ma demande
Du mot qui manque le père ne dit rien non plus.
Lui parler très bas : « Père aimé tu as été si souvent
Muet dans ta vie. Ne le sois pas dans ta mort. Suis
Venue de très loin pour te revoir enfin. Te dire mon
Amour. Te demander de m’aider à trouver le mot
Qui manque. Pour sauver celui que j’aime.
Je t’en supplie. Réponds-moi. Je t’en supplie. »
…
SUPPLIQUE AU PÈRE MORT
Venisti
extrait 1
Avoir au profond du crâne mémoire d’Énée
Descendu aux enfers pour revoir son père mort.
Hantée par le rugueux livre six de L’Énéide
Descendre chaque nuit d’insomnie à la recherche
Du père mort. Qui d’autre pourrait m’aider
À trouver le mot qui manque ? Me mettre au moins
Sur le chemin ? Mais descente est rude. Longtemps
Impraticable. Interdite ? Tomber. Tomber encore.
Tête brûle de tant chercher et descendre à pic.
Parvenir enfin une nuit rougeoyante au royaume des morts
(Mais n’est-ce pas un songe ?)
Trouver le père occupé à tailler une rose
Dans sa propre chair. La reconnaître aussitôt :
C’est la rose du Rhin qu’il a essayé
De faire éclore toute sa vie entre la France
Et l’Allemagne. « Die Rose am Rhein. »
…