Dans son unique roman, apparemment écrit sous la colère de se voir reléguée aux oubliettes, l'auteur se recrée sous le nom d'Alabama, qu'elle suit religieusement et linéairement pendant douze ans, étrangère à elle-même. Son mari est peintre et non romancier, sa fille se nommera Bonnie, non Scottie. Manque de recul, de talent littéraire ou peur de se regarder en face ? Un peu des trois, j'imagine. Sous la plume de Zelda, la jeune femme apparaît une éternelle adolescente, une éternelle scandaleuse qui n'aura de cesse de prouver sa valeur, son labeur. La majorité du roman traite de la lutte acharnée d'Alabama pour devenir ballerine, malgré son âge, son mari, sa fille. Dans ses yeux, Paris 1920, ses princesses russes réduites aux cours de ballet, les parties éternelles d'américains désoeuvrés, la misère parfois ; dans son corps, les muscles douloureux, les petites mesquineries entre danseuses pauvres, l'incompréhension agacée de David, son époux. C'est une idée idiote, nous en conviendrons de vouloir danser Diaghilev à près de 30 ans, l'entêtement d'Alabama fait peine à voir, il ennuie un peu aussi car on sent bien qu'avoir dansé n'a pas suffi. Zelda a encore des choses à prouver, une présence à affirmer, même bien après. Mais à qui ? Aux yeux du monde ? de Scott ? Aux siens ? Il semblerait que l'entreprise ait échoué : Zelda n'a pas vraiment de voix. À la lecture du roman, on se demande s'il ne s'agit pas d'un manque de force, d'une sorte de vacuité innée qui la pousse à s'incarner à toute force dans le premier idéal venu. Alabama ne choisit pas la danse par amour de l'art – par goût de la contrition et du cilice à la barre, peut-être – mais parce qu'elle se souvient d'avoir été, adolescente, applaudie sur la scène de sa ville natale. Comme si danser conjurait le mauvais sort, effaçait le temps, rendait à la femme assez mal mariée l'adolescence dorée d'une jeune fille en vue. Et d'un bout à l'autre, Alabama expie. Un mariage qui fait la honte de ses parents, une fille qui reste étrangère, un époux qui l'oublie, et un amant surtout. Dans cette obsession même, Alabama reste une épouse. Insoumise, capricieuse, renaclante, certes, mais une propriété néanmoins. Pour autant,
Accordez-moi cette valse n'est pas un roman lugubre, loin s'en faut.
Zelda Fitzgerald est une plume incontestable, pourvue d'un véritable don pour la métaphore inattendue et le dialogue enlevé. Elle en use beaucoup, c'est un fait. « Glissez, mortels… » : Alabama et David ne se parlent pas, ils se donnent la réplique, virevoltent en rythme à la Fred et Ginger. C'est souvent drôle, un peu grave pas en-dessous, facilement oubliable. La fin du moment montre une Alabama réconciliée, un genre de grand espoir en plan large qui achève de décoller la fiction de la biographie. J'ignore dans quelle mesure le roman comble tout ce qui n'a pas été dans la vie de Zelda. Et je trouve que c'est une bien triste raison d'écrire un roman.
(Au passage, encore une preuve qu'il ne faut jamais se fier aux 4e de couverture. Celle-ci annonce « le portrait d'un homme doué qui s'autodétruit ». Très drôle. Il s'agit de sa femme, en fait, et visiblement elle n'aura même pas gagné le droit d'être reconnue comme l'héroïne de son propre roman.)
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