Gazoline. Un mot qui ricoche sur des années patine et des couleurs vives. Dans un village qui pourrait être n'importe où en France, se réveillent les réflexes des années 1980. Un Walkman aux oreilles, un téléphone Matra qui annonce la propulsion à venir de ce que l'on appelle encore les Télécoms, et la cabine téléphonique qui sert de point de ralliement de la jeunesse.
"Ainsi roula la conversation, éternelle et redondante sur les mobs, l'hiver, les parents, le froid, les profs, puis, tout naturellement, les couples qui se font, se défont, se rabibochent. Leur petit théâtre tenait tout entier dans ce halo de lumière givrée. La nuit avait emporté le reste de I'univers, auquel ils ne semblaient plus reliés que par cette cabine téléphonique, emplie de vide, d'ennui et d'une immémoriale odeur de tabac froid."
Gazoline, ce pourrait être le nom de ce village qui grandit avec ses habitants, chaque chapitre égrenant les générations : Samuel et Delphine son amoureuse, du haut de leurs dix ans, symboles de la nouvelle génération plantée ici.
Sandra et son corps de jeune femme poussée hors de l'adolescence, brandissant ses boucles blondes et son insolente soif de dévorer. Sandra et son petit frère Alex, arrivés de la ville pour occuper le lotissement jailli des terres nourricières. Sandra et le groupe de corps rejetés par l'enfance, en recherche d'identité, des Maud, Audrey, Sylvain, Fabrice, et bien sûr, Gildas, le vilain petit canard de l'histoire.
Et plus loin sur l'échelle du temps, le père Berthelot et son opposant, le père Comuzzi, agrippés à leurs souvenirs de conflits d'idées, des souvenirs emportant des filaments d'histoires familiales.
Et la mère Derain, son front de vieille femme collé à la vitre qui lui raconte sa rue, et son esprit qui divague sous les sourires bienveillants de ses compatriotes.
Emmanuel Flesch raconte un village au parfum de Benco écrasé sur la table, aux airs de Souchon et de Bibi, un temps de cabanes, de billes et de jeux d'élastiques dans la cour. Il nous raconte un village et ses individualités, qui se regroupent au moment d'un incendie survenu dans une grange. Des individus qui se rapprochent du malheur comme autant de paires d'yeux au-dessus d'un drame si petit pour eux.
Emmanuel Flesch raconte un village qui, nous emportant dans une douce nostalgie, nous ferait presque oublier que si l'incendie surgissait là, dans notre village aujourd'hui, il y aurait des Gildas, des Didier, des Dorothée et des Jeanine, et les mêmes cris du coeur.