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Critique de Archie


Jonathan Safran Foer est un phénomène. Tout est illuminé, son premier roman écrit à l'âge de vingt-cinq ans, m'avait enthousiasmé. J'avais apprécié son imagination, quelques années plus tard, dans Extrêmement fort et incroyablement près. Après dix ans de silence « romanesque », voici donc, sinon JSF lui-même, du moins son double, Jacob, personnage central de Me voici, un ouvrage qui entremêle un feuilleton familial, une fiction géopolitique et des réflexions spirituelles et morales.

Le centre de gravité de l'ouvrage est le couple formé par Jacob et Julia, des bobos aisés de Washington, juifs, quadragénaires, mariés depuis seize ans. Malgré leur complicité attentive dans la tenue quotidienne de leur foyer et dans l'éducation de leurs trois garçons, ou à cause de cette complicité attentive, ils ont laissé leur intimité de couple se désagréger. Un constat d'ensemble qui justifie de se séparer, dit l'un ; qui justifie de rester ensemble, aurait pu dire l'autre, ...mais qui ne le dit pas !

L'auteur, qui parle d'expérience, s'étend sur le risque qui guette le couple, lorsque l'un ferme une part de soi au regard de l'autre, tout en oubliant ce qui compte pour l'autre. Les enfants, fins observateurs, ne font pas de cadeaux. En bon Juif ashkénaze américain à la Woody Allen, Jacob, dans sa manie de tout intellectualiser, a du mal à ne pas perdre pied dans ce tourbillon de casse-tête familiaux.

Comme si ses problèmes familiaux ne suffisaient pas, Jacob apprend qu'un séisme de grande ampleur a frappé le Moyen Orient, provoquant des dégâts considérables en Israël et dans sa périphérie. Une catastrophe qui va rallumer les hostilités entre Israël et toute la région. Dans un discours glaçant, l'Ayatollah appelle à la destruction de l'entité sioniste et à la mort de tous les Juifs sur la planète. Comment doit réagir un Juif américain non-croyant dont la pratique religieuse se limite à des traditions minimales ? Jacob s'interroge sur ce qui constitue l'âme juive et l'âme d'Israël. Les controverses ne manquent pas en famille, d'autant plus que des cousins israéliens sont de passage.

La dramaturgie des événements maintient le lecteur en haleine jusqu'à la fin. Jacob et Julia divorceront ils vraiment ? Israël sera-t-il vraiment rayé de la carte ?

Pages hilarantes et pages émouvantes se succèdent, quand elles ne sont pas à la fois hilarantes et émouvantes, comme celles des obsèques où un jeune rabbin débutant, chaussé de baskets aux lacets dénoués, réunit croyants et non-croyants – et le lecteur ! – par le rire et par les larmes. D'autres pages sont en revanche anxiogènes, voire carrément angoissantes.

La lecture est par moment ardue, tant l'inspiration de l'auteur est foisonnante. C'est le cas des premières pages, préfiguration énigmatique de l'ensemble, à relire absolument après la fin du livre. Les sept cent cinquante pages sont ventilées en une centaine de séquences, toutes titrées, dont la taille va de trois lignes à quarante pages ! Une structure originale qui aère la lecture. On peut déplorer quelques longueurs, quelques passages inutiles, quelques invraisemblances, aussi. La maturité et la sagacité des enfants, notamment, ne me paraissent pas correspondre à leur âge. Mais dans leurs échanges avec leurs parents, la pertinence et la drôlerie de leurs propos sont proprement irrésistibles.

L'ouvrage alterne narrations et dialogues, dont certains, réduits à des répliques très brèves à l'emporte-pièce, s'étendent sur plusieurs pages. Cela donne une lecture vive, dynamique, mais plus complexe lorsque les enfants dialoguent dans des univers virtuels... L'écriture est pleinement maîtrisée, en tout cas dans sa traduction française, à la syntaxe parfaite. le texte est fluide, empreint d'un ton plutôt badin, grâce à l'emploi de quelques mots et expressions du langage de tous les jours.

L'analyse et l'écriture sont suffisamment précises, pour qu'on découvre dans Jacob ce que l'on trouve aussi dans les personnages joués à l'écran par Woody Allen ; la petite faille qui pourrait nous déchirer, quand nous voudrions n'être ni totalement d'un côté, ni totalement de l'autre, et que nous craignons qu'il n'existe rien entre les deux.

« Me voici » ou « me voici pas » ? On trouve la seconde formule en titre de plusieurs séquences. Elle reflète le caractère de Jacob, un homme protégé par sa pusillanimité, doutant de tout, y compris de lui-même, et donc dans l'incapacité de lâcher : « me voici ! », tel Abraham choisissant de marquer ainsi sa confiance absolue en son Créateur.

Me revoici, pour ma part, enthousiasmé à nouveau par Jonathan Safran Foer. Un enthousiasme qui est peut-être juste celui d'un homme, juif ashkénaze, non-croyant, marié depuis suffisamment longtemps pour croire avoir déjoué les risques qui auraient pu menacer son couple. Qu'inspirera ce livre à un lecteur différent de moi ? Qu'inspirera à une lectrice le personnage de Julia et son face-à-face avec le personnage de Jacob ? Ce n'est pas moi qui donnerai la réponse.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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