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Critique de Ingannmic


C'est à vrai dire une histoire banale : celle du délitement, avec l'usure de la routine, de ce qui faisait le ciment du couple et de la vie de famille...

... quand on réalise qu'on a délaissé, l'une après l'autre, ces petites attentions et ces habitudes en soi sans importance (la chanson entonnée par tous à un moment précis qu'on est les seuls à savoir identifier, l'école buissonnière autorisée à l'occasion du premier match de la saison de baseball...), mais qui rassurent sur la persistance de l'amour dont on est l'objet,

... quand les envies, les émotions que l'on tait, par pudeur -une pudeur nouvelle, injustifiée mais incontrôlable-, ou parce qu'on se fait une fausse idée de la maturité, deviennent plus nombreuses que celles que l'on partage,

... quand le fait d'être avec l'autre aliène notre propre vie intérieure, qu'on a l'impression de se perdre, et que plus on réalise que le temps est précieux, moins on en dispose ; que l'on aspire à toujours plus d'espace et de de silence,

... quand on ne dit plus ce que l'on pense, et qu'on ne pense pas ce que l'on dit, qu'on a fait le deuil des promesses mutuelles de sincérité, et qu'à force d'accumuler les maladresses, les mots mal choisis, les silences imposés, on s'installe, de manière inconsciente, dans la certitude permanente de subir un affront qu'il faudra bien un jour venger,

... quand à force de promiscuité domestique mais d'élargissement de la distance intime, de remplacements des rituels amoureux par des rituels domestiques, on désapprend à se connaître,

... quand on dissimule derrière les tâches que l'on s'impose, liées à l'administration de la vie de famille, des blessures non identifiées mais présentes, des traumatismes en apparence anodins, mais qui peu à peu sapent les bases de la relation en entretenant la résignation, la rancune, le besoin d'auto défense,

... quand, pour résumer, on éprouve le sentiment, latent mais permanent, de n'avoir pas trouvé le bonheur, sans savoir au juste où le chercher.

"L'intérieur de la vie devient beaucoup plus petit que son extérieur, ouvrant une cavité, un néant"

"Me voici" décortique les longs et douloureux moments de cette prise de conscience, quand le mal-être jusque-là trop profondément enfoui pour qu'on le reconnaisse émerge peu à peu. Une histoire donc banale... mais Jonathan Safran Foer est un écrivain BRILLANT (c'est le qualificatif qui m'est spontanément à l'esprit en refermant ce lourd volume), et vous le savez aussi bien que moi, ce n'est pas ce qui est raconté qui importe, mais comment ça l'est. Et ça l'est, en l'occurrence, avec une intelligence, un humour et une acuité qui rendent la lecture jouissive !

Alternance de joutes verbales au cours desquelles les héros rivalisent de finesse d'esprit, d'ironie, et de passages narratifs nous livrant les méandres des questionnements auxquels Jacob Bloch -le chef de famille-, rattrapé par sa propension à tout intellectualiser et ses excès de pusillanimité, perdu entre ses fantasmes et ses doutes, est en proie, "Me voici" est aussi le portrait d'une certaine Amérique, celle d'une classe bourgeoise autocentrée sur des préoccupations futiles, individuelles et matérialistes, dénuée d'idéal humaniste, qui à force de croire que procurer à l'autre sécurité et confort matériel c'est l'aimer, en oublie ce qu'est le simple don de soi.

Paradoxalement, l'une des plus grandes qualités de ce roman foisonnant en est aussi sa limite. A force d'être brillant, il en devient parfois clinquant, notamment lorsque l'auteur dote les enfants du couple Bloch d'une capacité au raisonnement et à la répartie peu crédible compte tenu de leur jeune âge (où alors c'est que mes propres enfants sont complètement débiles). Mais on lui pardonne facilement cette tendance à l'excès, qui est finalement l'occasion de nous livrer des dialogues féroces et percutants.

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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