« L’anonymat dans la réalité ne permet pas d’être soi. Il offre seulement un espace de liberté temporaire. Des vacances en apnée. » (p. 8)
Pour les riencacalistes, ceux qui comme moi ne jouent pas le jeu de la transparence constituent le dernier rempart à abattre avant que la société n’entre dans l’ère de la bienveillance. Ils veulent ouvrir les vannes. Que l’humanité soit non seulement fichée, mais que n’importe qui en extraire les regroupements souhaités. Que la liste exhaustive des employés d’une entreprise, des habitants d’un quartier, ou de n’importe quelle cible relative à une recherche multicritères soit disponible d’un clic. Ils veulent faire sortir du bois les planqués, que le système de notation soit au cœur de toute chose. Que nous subissions sans répit le jugement d’autrui.
Il accusait le gouvernement français de nous avoir trahis, tout en sachant qu’il n’y avait personne à blâmer. Internet était devenu une zone de non-droit où les conditions générales d’utilisation de Google, Apple, Amazon et autres sociétés privées jouaient le rôle de nouvelles Déclarations des droits de l’homme. Quand les États se sont réunis pour reprendre le contrôle des données et ficher l’intégralité de la population mondiale, il y a eu des débats, des pour et des contre, mais aucune réelle opposition. La rupture n’a pas été brutale. Le monde a changé par étapes ; en bien selon certains, en mal selon d’autres.
Je ne sais pas comment font les rienacas - ceux qui n’ont rien à cacher - pour accepter que l’on sache tout d’eux, tout le temps.
« Les gens me font rire quand ils cherchent une explication aux ruptures. Je vais te dire quelque chose qui te servira pour toute ta vie. Quand une personne en quitte une autre, on peut tourner longtemps autour du pot, mais à la fin, c’est toujours pour la même raison : elle ne l’aimait plus/ Allez va t’asseoir. Je te sers un verre. »
Un vieux proverbe chinois dit : « La mémoire la plus forte est plus faible que l’encre la plus pâle ». (Annexe I)
Extrait du droit à la vie privée ( samuel d.warren et louis d.brandeis).
Le commérage n'est plus réservé aux désoeuvrés et aux vicieux, c'est devenu une industrie effrontément exercée. Pour satisfaire un appétit lascif, les détails des relations sexuelles s'étalent dans les colonnes des quotidiens. Pour distraire l'oisif,de vains ragots qui ne peuvent reposer que sur l'intrusion dans l'intimité sont colportés à longueur de colonnes. L'intensité et la complexité de la vie, liées au progrès de la civilisation, ont rendu indispensable un certain retrait du monde et l'homme, raffiné par la culture, est devenu plus sensible à la publicité de sorte qu'il est maintenant essentiel pour l'individu de pouvoir s'isoler et d'avoir une vie privée; cependant l'activité et l'inventivité modernes, en s'immiscant dans sa vie privée,lui ont infligé une souffrance et une détresse morales beaucoup plus grandes que n'aurait pu le faire la blessure physique à elle seule... Même le commérage apparemment innocent, lorsqu'il est largement et constamment répandu, est potentiellement maléfique. Il avilit et pervertit. Il avilit en inversant l'importance des choses, réduisant par là les pensées et les aspirations d'un peuple. Quand le commérage entre les personnes se hisse à la dignité de l'imprimé et occupe l'espace ouvert aux sujets d'intérêt réel pour la communauté, comment s'étonner que l'ignorant et le non critique se méprennent sur la relativité de son importance. D'un accès facile et présentant un attrait pour le côté faible de la nature humaine que n'abattent jamais totalement les malheurs et les fragilités du prochain, il n'est pas étonnant qu'il capte à son profit l'attention de cerveaux aptes à autre chose. La trivialité détruit sur le champ la vigueur de la pensée et la délicatesse des sentiments. Nul enthousiasme ne peut s'épanouir , aucun instinct généreux ne peut survivre sous sa force d'aveuglement.
A force de supprimer notre liberté sur l'autel de la transparence, nous sommes devenus des inhumains, des personnalités amorphes qui ont peur de tout ce qui est caché, de tout ce qui est mystérieux ou nouveau. Or sans mystère et sans nouveauté, il n'y a plus de vie.
On quitte ou l'on se fait quitter, parce qu'il faut de l'abnégation pour tolérer chez l'autre ce qu'on ne tolérerait pas chez soi.
« Je canalise Irina tandis qu’elle m’exhorte à donner le meilleur de moi-même. » (p. 76)