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Critique de VincentGloeckler


Parole d' « amish », issue d'une vision rétrograde et sottement technophobe ? Ou bien, plutôt, analyse engagée et courageuse d'un regard lucide, avertissement à prendre d'urgence au sérieux ? « Faire connaître la culture au plus grand nombre est un objectif louable qu'assuraient autrefois la pédagogie et la vulgarisation. Mais la circulation du savoir à grande échelle et à toute vitesse telle que la rendent possible les nouvelles technologies conduit à sa dénaturation. Au lieu d'inviter à sa découverte et de constituer ainsi une sorte de passerelle conduisant à la culture, Internet en condamne l'entrée. L'univers numérique, en raison de l'hégémonie dont il jouit, s'autonomise et devient à lui-même sa propre fin, son horizon exclusif. Plus rien d'autre n'existe que ce qui y circule. […] Sous couvert de la rendre accessible à tous, on liquide la culture et on la laisse se volatiliser au sein des duplicata numériques qui la rendent superflue. » (p.46) On connaissait le Philippe Forest romancier talentueux, son univers fictionnel hanté par le deuil de sa fille, les chatoiements de son écriture. On le découvre ici, dans une des récentes livraisons de la série Tracts, en acteur impliqué et soucieux des évolutions, accélérées et dramatiques, de sa profession d'enseignant. Montrant comment la crise du Covid a amené l'Université à privilégier l'enseignement à distance, il s'insurge contre la consécration de ce modèle provisoire, le risque de sa transformation en pratique officielle et courante, l'imposition tyrannique du « distanciel » et de l'outil numérique comme moteurs du savoir dans la « start up nation » (on sent, et on partage, ses réticences devant l'affreuse réduction jivarienne des ambitions françaises que semble résumer cet odieux anglicisme !). A l'heure où une organisation managériale de type néolibérale, avec ses objectifs de résultats et de rentabilité, s'est imposée au sein de l'institution, dans une époque aussi où l'attention des étudiants et les exigences culturelles se dégradent sans cesse, il révèle les dangers de cette destruction de l'Université comme lieu vivant du face-à-face de l'étudiant et de l'enseignant, nécessaire à l'efficacité de l'apprentissage, défendant contre le flux immatériel et simplificateur des données informatiques la présence réelle et la parole échangée des êtres de chair et d'os, soulignant les menaces qui pèsent sur le fond et la forme des contenus, la qualité des examens, la liberté de pensée et la propriété intellectuelle, la culture et l'esprit critique. L'enjeu de son combat est de taille… Si demain on ne veut pas d'une société « Fahrenheit » ou « 1984 », il faut écouter ce cri de désespoir et de colère d'un enseignant conscient, appeler avec lui à préserver ce qui peut être sauvé de l'univers du savoir et de la pensée, cet autre environnement qui nous est si nécessaire !
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