La saga d'Héloïse, l'apothicaire, tome 1 : Bayard et le crime d'Amboise

Depuis le coup de force de Philippe le Long en 1316 et l'exploitation par ses légistes de l'ancienne loi salique afin d'évincer du trône la petite Jeanne de Navarre, fille de son frère le défunt roi, depuis cet évènement donc, recouvert par la poussière des années et l'oubli des hommes, jamais on n'avait vu, en le royaume des lys, un prince s'emparer de la couronne avec une si belle assurance et une si grande malice que celles dont fit preuve Louis d'Orléans ce jour-là.

Une nuit à douter du pouvoir des forces maléfiques qui, cependant, depuis le commencement de ce monde, gouvernent l’obscurité et les sombres territoires que déserte le sommeil des hommes.

— Ah oui, j’y suis ! reprit-il sur le même ton doucereux. Que votre vie m’appartenait… eh bien soit ! Je consens à la prendre !
Et tout en prononçant ces dernières paroles, il plongea dans le cœur du malheureux jeune homme une longue et fine dague qu’il dissimulait en un pli de sa casaque d’argent.
Puis, pivotant sur ses talons, il marcha sur l’autre cavalier frappé d’effroi, qu’un tremblement nerveux agitait comme un épi de blé dans la tempête.

Quelques instants plus tôt, les deux hommes auraient mieux fait de ne point aller plus avant. À présent, pour qui eût su déchiffrer les caprices du destin, ils auraient immanquablement donné l’impression qu’ils se précipitaient, tête la première, dans les flammes éternelles de l’enfer.

Celui que nous nous apprêtons à retrouver dispose de nous à son bon plaisir. Si vous tenez à la vie, vous prendrez garde à ne point le contrarier. D’ailleurs, ainsi que je vous l’ai déjà recommandé, je vous incite à ne parler que si l’on vous interroge directement. Laissez-moi présenter la chose et montrez-vous le plus discret possible. N’oubliez pas qu’en cette affaire votre fortune ainsi que votre salut ne dépendent que de mon intercession. À la moindre imprudence, nos deux vies se trouveraient en grand péril.

Pour qui aurait su lire l’avenir dans le dessin des constellations, ils auraient aussi bien fait de tourner bride promptement et de fuir ce lieu comme la peste.

— Quel endroit singulier pour une rencontre !
L’homme qui avait pris le premier la parole frissonna désagréablement, tandis que son compagnon remontait en selle.
— Qu’attendiez-vous donc ? Espériez-vous être accueilli par de la musique et des lumières de fête ? Que diantre ! Il ne s’agit pas d’un rendez-vous galant. Ce relais de chasse est à l’abandon depuis des lustres. Il nous est gage de discrétion et de sécurité. C’est tout ce qui importe !
Les deux cavaliers donnèrent du talon contre le flanc de leurs montures, passèrent entre les piliers de pierre et pénétrèrent dans l’étrange domaine.

Les cavaliers longèrent l’enceinte jusqu’à atteindre un portail dont chaque battant arborait à hauteur d’homme un blason de bois sculpté. L’usure du temps et les intempéries avaient effacé les armes de celui qui avait cru bon de marquer ainsi les limites de son domaine afin de proclamer, même en ce lieu reculé, la fierté de son sang.

Les deux hommes chevauchèrent ainsi en silence jusqu’à un endroit de la forêt, non loin de la lisière, connu sous le nom de Combe de Malemort. Dans un repli de terrain, masquées en partie par des buissons, de hautes grilles de fer forgé défendaient l’accès d’un domaine. À travers les frondaisons, se découpant en ombre chinoise sur le disque clair de l’astre nocturne, se devinait la toiture en pignon d’un manoir en partie ruiné.

S’il se fût trouvé quelque braconnier attardé en ces bois, nul doute qu’il eût cru voir dans ces deux silhouettes des spectres de l’apocalypse ou les fantômes de soldats tombés jadis en d’antiques batailles.