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Critique de Lucilou


La littérature médiévale, ce n'est pas seulement des épopées tragiques pleines de fureur, de sang, de quêtes et de malédiction ; pas plus que des farces grivoises. Non, ça peut être aussi des textes
nimbés de grâce et brodés de féerie, frais comme le printemps et son parfum de mousse. Sucré comme une chanson pop qu'on écoute en été (un petit air du Pouvoir des Fleurs ou du Cantique Mécanique) et éthéré comme les mélodies d'une Cécile Corbel. Un truc un peu doux, un peu enchanteur comme le sont les Lais de ce recueil, bulles d'encre et de savon.

On ne saura jamais vraiment qui était Marie de France mais on lui doit d'être l'une des premières conteuses, voire poétesses à avoir écrit en langue vulgaire, ce qui au XII°siècle devait être une petite révolution. Si je ne suis pas une fervente admiratrice de Henri II Plantagenêt qui semble être le dédicataire de Lais, j'aime à penser que Marie de France fut de sa cour et de celle d'Aliénor, sans nulle autre raison que parce que cela s'accorde bien avec ce que j'imagine de l'entourage de la reine d'Aquitaine.

Les lais, ce sont des récits assez courts, des contes souvent inspirés de légendes. Ceux de Marie de France sont au nombre de douze. Certains d'entre eux sont fameux et ont trouvé une place dans des recueils, des anthologies de textes médiévaux (Lanval, le Lai du chèvrefeuille...) quand d'autres sont beaucoup moins connus (Le Bisclarvet). Plusieurs fois centenaires, ils ont malgré tout conservé leur fraîcheur d'eau de source et de fleurs de printemps. L'élixir de jouvence tient sans doute à plusieurs éléments: les octosyllabes d'une part qui savent rythmer un texte et faire résonner sa musique et la brièveté des récits. Pas de longs monologues ici comme c'était pourtant la tradition, le style est épuré bien que sensible ! Qu'ils doivent d'ailleurs être beaux en langue originale ces lais pour peu qu'on la déchiffre (l'anglo-normand...)... Encore que grâce soit rendue aux éditeurs et aux traducteurs qui nous mettent entre les mains des éditions bilingues qui rendent possible le va et vient entre deux dialectes!

C'est la matière de Bretagne (décidément, on y revient toujours!) qui a donné lieu à la plupart de ces histoires, matière assemblée, modifiée, sculptée par Marie de France. Elle leur a peut-être fait perdre un peu de leur magie ou de leur rudesse en les reprenant, mais au moins, elle les a écrit ! Chez les bretons, les chevaliers sont fils ou amants de fées, un pont ou un chemin de brumes mène dans l'autre monde, les épées et les miroirs sont magiques et les amours parfois fatales. En sus de cette thématique merveilleuse, Marie de France répand dans ses écrits celle de l'amour courtois, en vogue au XII°siècle. L'amour apparaît définitivement comme le fil conducteur des lais, mais s'il est courtois, ce dernier n'est pas toujours serein. le feu couve sous la mousse et les passions interdites fleurissent comme autant de roses et d'épines. Neuf des contes mettent en scène un amour adultère, dont mon favori : le chèvrefeuille !
Ce qui sauve ces récits d'un bouquet trop bleu, ce sont leur chute : bien que faisant intervenir le merveilleux, les lais se concluent souvent sur une note pessimiste où l'amour finalement apporte plus de douleur que de félicité. Sous la magie, le réel finalement et peut-être l'aveu de l'échec de l'amour courtois, par trop idéal et donc par définition inatteignable,et de la réalité de la condition des femmes de l'époque, qui contrairement aux héroïnes de Marie de France ne pouvaient prétendre à tant d'expériences et de péripéties...

Qu'on s'abandonne à l'étude de ses dénouements un peu tristes où qu'on préfère rêver aux fées et à l'amour fou et éternel, « Les Lais » de Marie de France sont un ouvrage à part, la porte ouverte vers un monde enchanté où la littérature et la poésie forment un élixir parégorique autant qu'un voyage dans le temps. Ce n'est pas révolutionnaire mais ça fait du bien.
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