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Critique de gerardmuller


Le Lys rouge / Anatole France (1844-1924)Prix Nobel 1921
La comtesse Thérèse Martin-Bellème dans son salon parisien attend ses visiteurs d'un soir tout en arrangeant les bouquets, gerbes de fleurs et branches d'obiers en fleurs ornées de leur petite boule argentée très décoratives. Elle semble visiblement s'ennuyer, retrouvant un fauteuil et feuilletant les oeuvres poétiques de son amie Vivian Bell qui l'a invitée à faire bientôt un voyage en Italie. Il faut dire que la poétesse a son amour là-bas à Fiesole, un sigisbée princier d'une grande beauté.
Les premiers invités arrivent. C'est une longue soirée de conversations littéraires et les hôtes s'installent en parlant des derniers romans publiés. Thérèse est approchée par un de ses amis, Paul Vence, qui lui propose de lui présenter un certain Dechartre sculpteur à ses heures. Cette conversation n'a pas échappé à Robert le Ménil, l'amant de Thérèse depuis des années, et il lui fait part de sa surprise.
Thérèse connait depuis le jour même de son mariage un certain désespoir alors que l'éveil ardent de son imagination et le travail mystérieux de sa chair la jetaient dans un trouble mêlé de désirs et de craintes. Née riche Montessuy, fille de banquier, elle avait grandi dans le château historique familial de Joinville. Elle n'avait pas choisi son mari, le comte Martin-Bellème ; c'est son père qui en avait décidé pour un homme issu de la noblesse impériale. Après six années de fidèle ennui, Thérèse avait repris sa liberté face à un homme froid, maladif, sans amour et égoïste. La séparation de corps fut franche et entière. Cependant ils vivent sous le même toit et Thérèse y souffre paisiblement en rêvant.
Deux ans plus tard, elle cède à Robert le Ménil et tout deux filent le grand et parfait amour. Aujourd'hui, trois ans de plus ont passé et ils se voient régulièrement dans un petit appartement de la rue Spontini. Thérèse est aimée mais elle souffre d'un ennui chronique. Et puis Robert a décidé d'aller chasser pendant plusieurs jours avec des amis. Thérèse est contrariée estimant que si c'est pour se voir si peu, autant ne pas se voir du tout. Cette journée pourtant sans querelle semble entacher leur relation d'une saveur étrange.
Venant de la rue Spontini, sur le chemin du retour vers le domicile conjugal, elle rencontre Jacques Dechartre qui subit alors le charme d'un face à face impromptu presque intime avec cette femme qu'il ne connait pas vraiment.
Pour l'heure, rentrée chez elle, Thérèse estime qu'elle n'a connu de l'amour que des petites ivresses courtes d'où elle sortait un peu triste. Elle s'interroge : et s'il existait des amours où l'on s'abimait délicieusement ! Les rêves de la première jeunesse, du fond du passé, revenaient à elle …
Thérèse retrouve donc son amie Miss Bell à Fiesole près de Florence. Vivian Bell est une originale : avec un tel patronyme elle ne pouvait collectionner que les clochettes, des grosses, des petites, des très anciennes et des modernes, enfin une collection unique dont elle dit que ce sont ses armes parlantes. Une insolite découverte, en attendant l'arrivée de Jacques Dechartre convié par Miss Bell, qui n'aura pas duré trop longtemps.
Très vite Thérèse comprend qu'avec Dechartre elle découvre la vraie vie. Comme elle, il aime l'art, mais ils vont vite découvrir que la chair est aussi leur passion. Depuis qu'ils se sont retrouvés à Florence, elle aime le sentir près d'elle, l'entendre, car il lui rend la vie aimable, diverse et colorée, neuve, toute neuve. Il lui révèle les joies délicates et les tristesses délicieuses de la pensée, il éveille les voluptés qu'elle porte en elle, dormantes en elle depuis si longtemps.
Les conseils de son amie Vivian ne sont pas toujours pour la tranquilliser quand elle lui explique que choisir un homme est très difficile quand on sait que avec un homme aimé des femmes, elle ne sera pas tranquille et avec un homme que les femmes n'aiment pas, elle ne sera pas heureuse. Quoiqu'il en soit, Dechartre lui déclare son amour. Et Thérèse sent qu'il est pour elle, cet homme qui lui donne de la vie un goût nouveau, délicieux et charmant, en abandonnant toute prudence.
Robert le Ménil, torturé de jalousie quand il apprend, de retour de la chasse, où est Thérèse et avec qui elle est, ne va pas renoncer aussi facilement et son voyage vers Florence annoncé par courrier peut tourner au drame et susciter aussi la jalousie de Dechartre tout en détruisant le bonheur des amants.

Dans un style merveilleusement ciselé et poétique, Anatole France nous charme avec cette belle histoire d'amour, avec des descriptions sublimes de la région florentine : « Thérèse glissait, vêtue de gris sombre, sous les cytises en fleurs. Les buissons d'arbouses couvraient d'étoiles argentées le bord escarpé de la terrasse et, sur le penchant des coteaux, les lauriers dardaient leur flamme odorante. La coupe de Florence était toute fleurie. » C'est là que Vivian explique à Thérèse que le lys rouge est l'emblème de Florence.
Plus loin, toujours le beau style limpide, aisé et élégant, sans vaine subtilité, aux nuances les plus fines, d'Anatole France nous envoûte et nous révèle la beauté sensuelle de Thérèse toute proche de Jacques Dechartre : « N'ayant gardé que la fine chemise rose, qui, glissant en écharpe sur l'épaule, découvrait un sein et voilait l'autre, dont la pointe rougissait à travers, elle jouissait de sa chair offerte, ses lèvres s'entr'ouvraient… Jacques ne connut plus rien que ces mains légères, ces lèvres ardentes, cette gorge pleine et toute cette chair offerte. Il n'eut plus d'autre idée que de s'anéantir en elle.»
Et plus loin : « Quand Thérèse reprit avec Jacques, dans la nuit, le chemin du château, il lui restait aux lèvres un goût de baisers, et dans les yeux l'image de son ami qui, debout au tronc d'un bouleau, semblait un faune, tandis que, soulevée dans ses bras, les mains nouées à la nuque, elle se mourait de volupté… »
L'exploration du sentiment amoureux est dans ce roman portée à son paroxysme, parallèlement à l'analyse du sentiment de jalousie. La tension est permanente et la passion dévastatrice. Cette analyse d'un amour cruel, sans tendresse, et qui ne pardonne jamais, est remarquablement conduite à travers le personnage tourmenté de Dechartre, qui avoue que « dans la jalousie, il y a de l'orgueil de sauvage, une sensibilité maladive, un mélange de violence bête et de faiblesse cruelle, une révolte imbécile et méchante contre les lois de la vie et du monde. »
Tout au long de ce beau roman largement autobiographique, histoire d'un couple que déchire la jalousie, histoire aussi d'un amour interdit, Anatole France qui vécut de nombreuses années avec Madame de Caillavet, se livre au travers de ses personnages à des réflexions pertinentes sur divers sujets : Napoléon , l'art, la littérature, le mariage et bien sûr la politique sous la IIIe République.
En résumé, un roman très classique au sens noble du terme, un grand moment de lecture au charme captivant.



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