Citations sur Le lys rouge (24)
Elle donna un coup d'oeil aux fauteuils assemblés devant la cheminée, à la table à thé, qui brillait dans l'ombre, et aux grandes gerbes pâles des fleurs, montant au-dessus des vases de Chine. Elle enfonça la main dans les branches fleuries des obiers pour faire jouer leurs boules argentées. Tout à coup, elle se regarda de loin dans une glace avec une attention sérieuse. La taille cambrée, la joue sur l'épaule, elle suivait de l'oeil les ondulations de sa forme longue dans le fourreau de satin noir autour duquel flottait une tunique légère, semée de perles où tremblaient des feux sombres. Puis elle s'approcha de la glace, curieuse de connaître son visage de ce jour-là. L'image lui renvoya un regard tranquille, comme si cette aimable femme, qu'elle examinait et qui ne lui déplaisait pas, vivait sans joie aiguë et sans tristesse profonde.
La jalousie n'est pour une femme que la blessure de l'amour-propre. Chez l'homme, c'est une torture profonde comme la souffrance morale, continue comme la souffrance physique...
L'air humide, tiédi par un soleil encore faible et déjà généreux, soufflait l'inquiète douceur du printemps. Thérèse, accoudée à la balustrade, baignait ses yeux dans la lumière. A ses pieds, les cyprès élevaient leurs quenouilles noires et les oliviers moutonnaient sur les pentes. Au creux de la vallée, Florence étendait ses dômes, ses tours et la multitude de ses toits rouges, à travers laquelle l'Arno laissait deviner à peine sa ligne ondoyante. Au delà, bleuissaient les collines.
Qu'est-ce qu'il en fait, le lecteur, de ma page d'écriture ? Une suite de faux sens, de contresens et de non-sens. Lire, entendre, c'est traduire. Il y a de belles traductions, peut-être ; il n'y en a pas de fidèles. Qu'est-ce que ça me fait qu'ils admirent mes livres, puisque c'est ce qu'ils ont mis dedans qu'ils admirent ? Chaque lecteur substitue ses visions aux nôtres. Nous lui fournissons de quoi frotter son imagination. Il est horrible de donner matière à de pareils exercices. C'est une profession infâme.
L’antisémitisme fait partout des progrès effrayants. En Russie, mes coréligionnaires sont chassés comme des bêtes sauvages. En France, les emplois civils et militaires se ferment aux Juifs. Ils n’ont plus accès dans les cercles aristocratiques. Mon neveu, le jeune Isaac Coblentz, a dû renoncer à la carrière diplomatique, après avoir passé brillamment l’examen d’admission. Les femmes de plusieurs de mes collègues, lorsque madame Schmoll leur fait visite, étalent sous ses yeux, avec affectation, des feuilles antisémitiques. Et croiriez-vous que le ministre de l’Instruction publique m’a refusé la croix de commandeur que je lui demandais ? Voilà l’ingratitude ! voilà l’aberration ! L’antisémitisme, c’est la mort, entendez-vous, de la civilisation européenne.
En approchant du Petit-Pont, ils trouvèrent à leur droite des échoppes de ferrailles, éclairées par des lampes fumeuses. Elle y courut, fouilla du regard la poussière et la rouille des étalages. Son instinct de chercheuse mis en éveil, elle tourna l'angle de la rue et s'aventura jusque vers une baraque en appentis, dans laquelle, sous les solives humides du plancher, pendaient des loques sombres. Derrière les vitres sales, une bougie éclairait des casseroles, des vases de porcelaine, une clarinette et une couronne de mariée.
Il ne comprenait pas le plaisir qu'elle prenait :
- Vous attraperez de la vermine. Qu'est-ce qui peut vous intéresser là-dedans?
- Tout. Je songe à la pauvre mariée dont la couronne est là sous un globe. Le dîner de noces se fit à la porte Maillot. Il y avait un garde républicain dans le cortège. Il y en a dans presque toutes les noces qu'on voit au Bois, le samedi. Ils ne nous émeuvent pas, mon ami, tous ces pauvres êtres ridicules et misérables, qui entrent à leur tour dans la grandeur du passé?
« Oh ! mes livres !… On ne dit rien dans un livre de ce qu’on voudrait dire. S’exprimer, c’est impossible !… Eh ! oui, je sais parler avec ma plume, tout comme un autre. Mais parler, écrire, quelle pitié ! C’est une misère, quand on y songe, que ces petits signes dont sont formés les syllabes, les mots, les phrases. Que devient l’idée, la belle idée, sous ces méchants hiéroglyphes à la fois communs et bizarres ? Qu’est-ce qu’il en fait, le lecteur, de ma page d’écriture ? Une suite de faux sens, de contresens et de non-sens. Lire, entendre, c’est traduire. Il y a de belles traductions, peut-être ; il n’y en a pas de fidèles. Qu’est-ce que ça me fait qu’ils admirent mes livres, puisque c’est ce qu’ils ont mis dedans qu’ils admirent ? Chaque lecteur substitue ses visions aux nôtres. Nous lui fournissons de quoi frotter son imagination. Il est horrible de donner matière à de pareils exercices. C’est une profession infâme."
Il lui demanda à quoi elle pensait. Echappant à demi à la magie mélancolique des braises et des cendres, elle dit :
- Nous irons demain, voulez-vous, dans des quartiers lointains, dans ces quartiers bizarres où l'on voit vivre les pauvres gens. J'aime les vieilles rues de misère.
Il lui promit de satisfaire son goût, tout en laissant voir qu'il le trouvait absurde. Ces promenades où elle l'entraînait quelquefois l'ennuyaient, et il les jugeait dangereuses ; on pouvait être vu.
Pour moi, ce qui prouve que la République est le meilleur des gouvernements, c’est qu’en 1871, elle a pu fusiller, en une semaine, soixante mille insurgés sans devenir impopulaire. Après une telle répression, tout autre régime se serait rendu impossible.
Lire, entendre, c'est traduire. Il y a de belles traductions, peut-être ; il n'y en a pas de fidèles. Qu'est-ce que ça me fait qu'ils admirent mes livres, puisque c'est ce qu'ils ont mis dedans qu'ils admirent ? Chaque lecteur substitue ses visions aux nôtres. Nous lui fournissons de quoi frotter son imagination.