Comme c'est paradoxal de naître et mourir à peu de chose près au même endroit, un bâtiment, des chambres, des murs roses. Rien n'a changé. Juste une vie qui est passée. Et on vous remet dans du rose. Ça doit faire du bien, le rose au cœur et à l'esprit, je ne vois que cela comme explication. Ce doit être la couleur du bonheur, de l'amour, du "tout ira bien".
- Un problème, Gas' ?
- Rien, mais...
- Il n'y a pas "rien" s'il y a un "mais". Qu'est-ce qu'il y a ?
- Tu sais, tout à l'heure, essaie d'avoir l'air plus avenante, juste, comme ça. Mais ce n'est pas une critique, hein !
J'ouvre grand la bouche, choquée. Comment ça, plus avenante ? Je suis très avenante, je n'aime pas me faire emmerder, c'est tout.
L'idée me vient alors fulgurante d'enfermer moi aussi ces moments prisonniers de la pellicule dans une boîte, une capsule échappée du temps. Et je souris en me disant que si un jour quelqu'un tombe dessus, il ne verra que des photos et non pas le moment vécu, ce moment secret de bonheur pur, ce moment suspendu qui traduit la beauté de la vie dans toute sa splendeur.
Sans qu'ils s'en aperçoivent, je prends la photo. Elle sera belle cette photo de famille sous le chêne. Ce sera peut-être la plus belle de toutes.
Qu'il est difficile d'être femme, maman et fille. Je ne sais plus comment jongler avec toutes les facettes de la personne que je suis. J'aurais juste aimé être une et que cela soit suffisant.
Elle est là, son regard perdu par la fenêtre, ses cheveux roux et blancs qui se mélangent et qui lui font un halo de feu, sa posture empreinte de fatalité. Là, juste là, quand elle regarde les oiseaux s’envoler dans le ciel, je capture ce moment sur la pellicule. Il vivra pour l’éternité, ce moment. Elle s’éclaire soudain en me voyant manipuler mon appareil photo :
— Ma fille est photographe, vous savez.
— Je sais. Je suis ta fille, maman.