Le plus souvent, les esprits-renards se manifestent sous l’apparence d’une belle femme, capable de charmer les hommes, de leur tourner la tête et de les entraîner loin de leur épouse, de leur famille, de leur travail. La femme-renard promet loyauté et fidélité, mais toujours elle trahit, s’en va sans crier gare. Princesses rusées, courtisanes, hôtesses, les plus infâmes entraîneuses de Pékin – on raconte que de telles femmes ont un peu de renard en elles, voire qu’elles incarnent son esprit. Seul un esprit supérieur peut en venir à bout.
La mythologie chinoise prétend que lorsqu’un esprit-renard quitte ce monde, son image vacille avant de disparaître. L’esprit perd son influence et le monde des mortels peut enfin commencer à guérir. Les cicatrices disparaissent, les taches se réduisent, jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucune trace. La vie reprend son cours. Mais il ne s’agit que d’une illusion, car en réalité rien n’a changé, tout reste comme avant.
Il y avait des questions que l’on ne posait pas. Certains hommes en Chine étaient si puissants qu’ils pouvaient tuer en toute impunité.
Comme les autres bars et hôtels du quartier, l’endroit attirait une certaine clientèle après le dîner, qui appréciait la nervosité de cette ville au bord du gouffre. Ils vivaient comme des rois sur un héritage dont ils n’auraient pu faire grand-chose chez eux : des Allemands qui n’avaient à se soucier ni de Hitler ni de ses SS, des Américains riches comme Crésus grâce à leurs dollars indexés sur l’argent, ravis d’avoir échappé à la Grande Dépression. Cette région d’Extrême-Orient était encore le terrain de jeu d’une heureuse élite, du moins pour quelque temps.
Les disputes domestiques qui tournaient au tragique, les querelles d’argent ou de femmes qui déchaînaient une violence meurtrière – tout cela était déjà assez grave, mais l’assassinat d’une jeune Anglaise en pleine ville chinoise, dans une période de tension, alarmait les autorités.
Il y avait des espions partout, chacun soupçonnait son voisin. La confiance commençait à s’effriter : après tout, n’importe qui pouvait être un traître à la solde de Tokyo.
L’homme né de la femme, sa vie est courte, sans cesse agitée. Il naît, il est coupé comme une fleur. Il fuit et disparaît comme une ombre.
Du sang. Si on trouvait le sang, on trouverait l’assassin.
Une enquête pour meurtre devait avancer rapidement, sans quoi elle piétinait indéfiniment. Les pistes s’évaporaient, les témoins disparaissaient, l’assassin s’échappait.
Les assassins connaissaient presque toujours leur victime, il était rare qu’on tue au hasard. Le raisonnement d’un détective était le suivant : pour s’approcher de la vérité, il faut envisager l’impensable.