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Critique de Annezzo


Très curieux, cette histoire.
Il y a cinq ans, j'entends parler de ce livre au Masque et la Plume. Je note le titre et le nom de l'auteure. Au passage, j'ai retenu totalement le contraire de ce qu'ils racontaient, impressionnant comme la mémoire joue des tours.
Je finis par l'acheter, et je me lance.
La jeune femme, polonaise, tombe amoureuse de Paris où elle fait ses études de lettres. Elle tombe aussi amoureuse de la littérature française. Nous sommes dans les années 30. Appréciant aussi l'atmosphère allemande, elle part pour Berlin et réussit à ouvrir la première librairie française. Où elle recevra tous les écrivains en vogue à l'époque. Et les autres.
Mais lors de la nuit de cristal en 1938, elle comprend que pour sa survie, elle doit au plus vite quitter la ville, le pays et ses chers livres. Elle se glisse parmi les réfugiés qui filent en France, où elle se sent si bien. A Paris elle est accueillie chaleureusement.
Pendant ce temps, la France entre en guerre contre l'Allemagne, les trouffions partent découvrir la drôle de guerre, les Français restent confiants, la ligne Maginot les protègera, et puis ils ont déjà battu les Schleus, n'est-ce pas !
Dommage.
A Paris, l'avancée des Allemands sème la panique, on recommande à qui peut le faire de fuir vers le sud. C'est en train et accompagnée de son professeur préféré qu'elle descend à Avignon.
Puis Nice.
Puis elle nous raconte ses tentatives pour partir en Suisse où elle sera à l'abri.

Le livre raconte ces troubles, ces mouvements de foule, ces fuites. On comprend entre les mots qu'elle est juive, mais elle n'en parle à peu près jamais. Elle décrit les villes qu'elle découvre. La gentillesse des gens, parfois leur abnégation, ces amitiés chaleureuses tissées au fil du temps, des évènements. Elle décrit même un sourire, un petit geste qui illumine sa journée. Sans pourtant ignorer la conduite d'êtres moins solaires, plus intéressés, pleutres, ou obéissant à l'oppresseur parce que ce sont les ordres. Sans en faire des caisses. Elle ne se plaint à peu près jamais, picore même des choses drôles dans les circonstances, a un sens de l'observation plein de bienveillance.
Ce n'est pas de la grande littérature mais ça se lit à merveille. Ca raconte la vie, les gens, les atmosphères.
Voilà, on a traversé la guerre à hauteur d'humain, d'anecdotes en anecdotes. On a eu peur, comme elle, pour elle. On a aimé ses protecteurs, hommes ou femmes, qui l'ont prise sous leur aile. On a découvert l'administration durant la guerre. La fin du livre arrive vite, nous voila en 1943. On souffle pour elle, on aimerait en savoir plus long.
Elle écrit ce témoignage. Il est publié. Sans même attendre la fin de la guerre, puisqu'il parait en 1944.
Il n'a pas dû être diffusé à beaucoup d'exemplaires. Un jour chez Emmaüs, des décennies plus tard, un éditeur français découvre ce livre, le lit et décide de le republier. Patrick Modiano en fait volontiers la préface.
Et voilà.
On n'en sait pas plus. Ici j'ai lu qu'elle était morte en 1958. Là, en 1975. Elle était mariée, et n'évoque absolument pas son mari, qui a été embarqué dans les trains de l'enfer et est mort à Auschwitz en 1943. Peut-être pensait-elle le retrouver, tandis qu'elle écrivait son livre, à l'abri. Peut-être craignait-elle de lui nuire, si lui aussi se cachait, comme elle, sous diverses identités. Il n'y a aucune photo d'elle, même si les éditeurs et enquêteurs ont retrouvé trace de sa famille en Pologne.
Bref, un récit lumineux, clair, fluide, écrit par une jeune femme lumineuse, claire, fluide, et pourtant nimbée de mystère.
Très curieux.
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