Alexandre était un gosse silencieux, longiligne, qui collectionnait les papillons et les fossiles qu’il dégageait du limon de la Malefête. À 20 heures, il n’était toujours pas rentré. Son père était parti à sa recherche et avait retrouvé son filet à papillons planté au milieu d’un sentier forestier. Son short, son slip, son tee-shirt, ses chaussettes et ses chaussures étaient parfaitement entassés, juste devant. Dans le crépuscule écarlate, la mise en scène était macabre. En découvrant la pile de vêtements pliés, le père d’Alexandre avait eu l’impression qu’une entaille s’ouvrait dans son corps, une déchirure palpitante qui partait du palais, traversait sa gorge et courait jusqu’à ses tripes.
Ce même jour, sa mère avait déposé Jérémie au collège. Devant l’entrée, en voiture. Là où tout le monde s’attend, où tout le monde se juge, l’un des lieux où se crée l’histoire du bahut. Les membres de la bande du garage étaient vautrés sur la selle de leurs mobylettes. Il était sorti de la voiture en trombe, et juste avant qu’il n’ait franchi l’enceinte, elle avait klaxonné. Son cœur s’était arrêté net.
- Tu as oublié de me faire un bisou ! avait-elle crié.
Jérémie s’était figé. Et parce qu’il aimait sa mère, malgré sa maladie, comme il aimait encore ce lapin, malgré son odeur de renfermé, il était allé l’embrasser. Ça avait signé son arrêt de mort.
- Putain merde, j’hallucine, avait dit Steve Larrimi, le chef de la bande du garage.
Tout le monde avait compris qu’il s’agissait d’une sentence. Jérémie était bon pour “le supplice de la douche”.
Le capitaine Claude Ernevin plisse les yeux dans la lumière rasante. Le froid mord son visage. Son regard est très noir, bien enfoncé dans les orbites. Il a sur les lèvres un rictus très léger, que ses interlocuteurs interprètent comme du mépris. S’il n’y avait ces signes d’un sentiment inconscient de supériorité, ce serait un homme au physique très banal. Taille moyenne, cheveux noirs coupés ras, visage ordinaire. Mais si vous vous teniez face à lui, alors sa posture, l’énergie de contrôle qu’il dégage vous inspireraient immédiatement le respect et la crainte.
Il perçoit un mouvement, dans son dos. La peur et le froid compressent ses poumons. C’est avant tout une rumeur, un bruissement de feuilles mortes qui se précipite sur lui. Ben laisse libre cours à sa terreur. Il galope. Il serre les mâchoires. Son cartable est trop lourd. Il sent le cuir des lanières supplicier ses épaules. Quelqu’un court derrière lui. Ben n’arrive pas à se retourner. Il hurle. Il est projeté sur le bas-côté.
Et puisque tout cela ressemble à un mauvais rêve, la nuit le dévore tout entier.
Ben avait fini sa journée par deux heures de sport, une matière inventée pour humilier les enfants comme lui. Il était de ceux qu’on ne choisissait que par défaut. Assis sur les gradins de bois, le ciel pressé contre les hautes fenêtres, il avait espéré qu’on veuille bien de lui. Les yeux rivés sur les lignes bleues, violettes et vertes du terrain de hand, Ben avait prié pour résulter d’un choix. Quand le capitaine de l’équipe A l’avait désigné, une joie sincère l’avait envahi. Il n’était pas le plus gros. Il n’était pas le plus naze. Il en restait deux qui attendaient encore. Ben ressentait du mépris pour eux en même temps qu’il les plaignait.
Toute particule a son anti-particule avec laquelle elle peut s'annihiler.
Ainsi, il pourrait exister des anti-mondes, peuplés d'anti-gens, constitués d'anti-particules.