Lilas

C’est exactement ça, mon père est relou aujourd’hui. Il me remet toujours mon âge dans la figure. Mais ce n’est qu’un nombre, qu’un détail. Je suis apte à me débrouiller seule. Je suis mature. Je sais ce que je veux dans la vie. Et je sais qu’ici, on ne m’estimera jamais à ma juste valeur tant que je n’aurais pas fait mes preuves hors du pays.

Je croise le regard de ma domestique qui s'excuse du bout des lèvres. J'ai crié victoire trop vite. Mon cœur s'emballe quand Parxon me prend la main. A cet instant précis, je comprends ses intentions. La lueur qui anime ses iris d'une perversité sans nom me suffit amplement. Son regard coule sur ma peau, irradiant de chaleur. Je me sens étrange. Comme si mon âme avait quitté mon corps. Comme si mon esprit se refusait de l'admettre. Il effleure. Il boit. Il touche. Il boit encore. Il dégrafe la robe. Il s'enivre. Il embrasse. Il vide la bouteille. Il délasse le corset. Il titube. Il me jette au sol. Il pue l'alcool. Il jure. Il peste. Il n'écoute pas. Il plaque sa main sur mes lèvres. Et je m'éteins, sans doute à jamais. La promesse de Malvin se murmure à mon oreille. Même lui ne parviendra pas à me sauver.

Les flashs ne m’aveuglent plus. Mais leur crépitement est toujours dérangeant. Je m’avance, directement dans la fosse aux lions. Le grand escalier du lycée est surchargé par les journalistes qui aboient mon prénom pour espérer une déclaration. Je sais faire le tri.

Il y a un véritable parfum de fête, de joie enfantine. Mon cœur se gonfle soudain d’une autre sensation : le regret. J’aimerais que Lilas soit ici. J’aimerais que ce soir elle puisse s’émerveiller devant le grand sapin du hall où un amoncellement de cadeaux monstrueux attend les enfants d’employés. J’aimerais, mais c’est impossible. La maternité n’est pas permise aux assistantes. Nous sommes trop précieuses, trop indispensables à notre patron.

La poupée qui chante me fait peur avec son prix à trois chiffres. Je pourrais peut-être tenter de lui prendre un substitut ? Ou alors, lui offrir en mars pour son anniversaire. Je ne sais pas.
Elle y tenait à cette poupée. Elle a une passion pour les poupées qui chantent. Je laisse tomber le magazine sur mon visage. Autant m’endormir dans ma déprime. Et encore, je n’ai même pas fait le cadeau à ce connard de Mathias ! Nadine et ses idées à la con, je la retiens !