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Critique de HundredDreams


J'aime beaucoup la littérature des grands espaces, ces atmosphères ouatées et glaciales qui prennent en étau, entre la violence des hommes et une nature impitoyable.
C'est après la lecture du billet d'Isidoreinthedark que m'est venu l'envie de lire un roman de Pete Fromm, un auteur de nature writing que je n'avais encore jamais lu. Si vous avez envie d'en savoir plus sur la bibliographie de l'auteur, je vous engage à aller lire son billet.

Après beaucoup d'hésitation, mon choix s'est fixé sur son dernier roman, « le lac de nulle part ».
La couverture, magnifique avec ses tons bleus et les deux canoës vides, résume, à elle seule, toute l'ambiance de ce roman : l'eau cristalline des lacs, le silence, l'absence, la solitude, qui laisse une impression étrange, inquiétante.

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Le point de départ de ce roman est un texto qu'un père envoie à ses deux enfants devenus adultes. Peu présent dans leur vie depuis trop longtemps, il leur propose une dernière aventure d'un mois, dans un vaste parc naturel canadien.

Cette proposition est plutôt déconcertante et mystérieuse.
Le parc est à quelques jours de la fermeture, les touristes ont déserté le lieu. Et même s'ils sont expérimentés, le mois de novembre n'est pas une période idéale pour bivouaquer. En cette saison, l'automne s'installe vite. La nature est certes magnifique, la forêt se teintant de rouge, mais l'hiver, proche, peut les surprendre à tout moment.

Pour autant, Trig et al sont heureux de renouer avec leur père qu'ils n'ont pas vu depuis plusieurs années. Alors, malgré leurs appréhensions, ils acceptent de le retrouver et de partager une nouvelle expédition.

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A peine les premières pages lues, j'ai eu l'impression d'être en territoire connu.
Le début m'a tout de suite rappelé le roman « Sukkwan Island » de David Vann. Mais « le lac de nulle part » est beaucoup plus subtil. Ici, il n'y a pas de violence exagérée, de rebondissements à répétition. On glisse doucement sur l'eau, on écoute le chant des oiseaux, on observe la nature et on se perd dans cette immensité.

Au fur et à mesure qu'ils s'enfoncent dans le parc provincial de Quetico par un réseau de portages, remontent en eux des souvenirs de leur enfance : leurs joies partagées lorsqu'ils formaient encore une famille unie. Mais se glissent des souvenirs plus douloureux, cachés, des non-dits, des silences pesants qui entretiennent un malaise ambiant.

« Il avance seul, nous n'avons aucun mal à le suivre et je me laisse hypnotiser par les tourbillons qui se forment de part et d'autre de ma pale, leur façon de tournoyer quand elle émerge de l'eau, juste avant que je la replonge dans les profondeurs. Je les imagine s'étirer dans notre sillage, kilomètre après kilomètre, année après année, remonter le courant de notre vie, jusqu'à notre enfance. »

Le lecteur sent très rapidement les tensions dans ce trio. En même temps que le temps se dégrade, le poids du passé tisse une toile qui les emprisonne dans une gangue de glace comme de vulgaires insectes.

« …je ne peux m'empêcher de me demander ce que je fais là, perdu sur un canoë au milieu d'un lac dont j'ignore le nom quelque part au Canada tandis que la chaleur de la journée, de la saison tout entière, se dilue dans le bleu de plus en plus sombre du crépuscule. »

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Le style de Pete Fromm est simple, fluide et agréable à lire.
La poésie est présente dans les descriptions de ces contrées sauvages. La nature est un personnage à part entière, elle nous enveloppe d'un écrin de glace, de neige, de froid, participant à cette ambiance incertaine et menaçante.
J'ai aimé ces moments où Pete Fromm nous décrit ces grandes étendues d'eau, ces îlots déserts, ces immenses forêts qui se parent de couleurs automnales. Sa belle écriture nous fait percevoir les variations climatiques, le changement de saison, la glace qui fige le paysage, la neige qui craque sous les pas.

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Pete Fromm excelle également à décrire les sensations, les émotions. Sans trop en révéler, Pete Fromm réussit à merveille à analyser la complexité des liens familiaux. Petit à petit, on comprend les douleurs tues, les fêlures. Cette souffrance contenue, enfouie sous la glace ne souhaite qu'une chose, c'est se libérer.
Avec beaucoup d'acuité, il parvient à instiller un climat troublant où règne une inquiétude sourde. Et en même temps que l'on s'émerveille de la beauté de ces grands espaces et de la faune sauvage, le lecteur sent l'appréhension grandir au fil des pages. Et cette nature aussi majestueuse que dangereuse se referme sur nous dans un huis-clos intimiste.

« Et ces mots, un écho des années passées, m'achèvent, j'ai envie de courir dehors, de me jeter dans le lac, de plonger dans les eaux noires, de m'accrocher à un truc sombre et gluant …jusqu'à ce que je cesse de respirer. »

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J'ai aimé cette belle relation fraternelle. On ressent la tendresse qu'ils ont l'un pour l'autre. Et si j'ai trouvé al plutôt froide et distante, je me suis attachée à son frère Trig qui dégage beaucoup de douceur et de prévenance. Je l'ai trouvé très touchant dans son rôle de grand frère qui veille sur sa soeur, alors qu'ils sont jumeaux.
Quant au père, il paraît avoir pris un gros coup de vieux. Je vous laisse le découvrir plus en détail.

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Malgré tous ces points positifs, j'ai tout de même une réserve quant au dénouement, certes tragique, mais beaucoup trop prévisible à mon goût.

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Pour conclure, ce nouveau roman de Pete Fromm est un récit prenant, glaçant, plein de colère, de rancoeur, et de ressentiment. La nature, l'ambiance y sont certes, oppressants, mais il m'a manqué plus de rudesse et de surprise sur la fin.
« le lac de nulle part » est tout de même un roman très agréable à lire qui me donne envie de découvrir d'autres romans de l'auteur et en particulier « Indian Creek ».
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