Al me ramène à elle avec ses murmures, le trémolo des huards résonne sur le lac, les étoiles se reflètent dans l'eau. Je m'abandonne. Je prépare ma pagaie et j'attends qu'Al immerge sa pale, nous ne laissons rien dans notre sillage, hormis l'entrelacs de nos doubles tourbillons.
Ce givre qui pare de dentelle blanche notre campement, chaque jour plus isolé que le précédent, et fait crisser mes pas au réveil, ce givre où je vois des empreintes de cerfs, d'écureuils et d'animaux minuscules, des souris peut-être - autant de choses sympathiques, si nous avions une cabane où nous réfugier, un feu rugissant dans un âtre en pierre blanche, des raquettes aux murs, une peau d'ours sur le plancher-, ce givre, vient un jour où je ne peux plus l'ignorer. (P.106)
Si t'attends un beau jour, tu attends toujours.
Toi et moi…
Contre le monde entier.
Pauvre monde…
Il n’a aucune chance.
Le soir près du feu, j'étudiais ses cartes, où le bleu l'emportait sur le vert, un monde inversé, la terre ferme était l'obstacle, les lacs les lieux de vie, traversés par de petites rivières d'arbres et de granit.
Je me demande si on s'habitue vraiment à la solitude, peu importe le temps qui passe...
Le cri des huards abolissait le temps.
Ce n'est pas la fin du monde, juste la planète qui la ramène, histoire de nous montrer ce dont elle est capable, au lieu de se contenter d'exister, ainsi qu'elle le fait d'habitude, une petite rodomontade au crépuscule pour nous rappeler que nous ne sommes pas le centre de la terre, mais un détail mineur condamné à errer à sa surface
Par le passé, il racontait à Dory tout ce qu’il faisait à l’école, des anecdotes sur la natation, le foot, le moindre contrôle ou exposé. Un flux d’informations non filtrées qu’elle n’écoutait que d’une oreille - aujourd’hui, elle a du mal à y croire -, occupée à dérouler elle ne savait quoi sur son téléphone à la con alors que lui déroulait sa vie pour elle, chaque doute, chaque miracle, chaque victoire. Comment avait-elle pu être naïve au point de croire que cela durerait toujours, et peu importe si elle un ratait un détail de temps à autre ?
Je la sens me dévisager.
- ça fait quoi de vivre dans le vortex ? D'imaginer toujours le pire ?
- Je réfléchis, Al, c'est tout. J'anticipe.
- Tu anticipes quoi ? On se lève la nuit, on pagaye comme des fous jusqu'à ce qu'il fasse nuit à nouveau. On dort, on se réveille, on recommence. Il n'y a rien à anticiper.