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Critique de elodiekretz


Cet ouvrage, publié aux États-Unis en 2005 et disponible en français depuis 2019 grâce aux Belles Lettres et à une traduction de John E. Jackson, constitue une excellente synthèse de cette période appelée guerre froide qui a caractérisé les relations internationales de 1947 à 1991. Elle vit les deux superpuissances vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis et l'Union soviétique, s'opposer sur les plans idéologique, politique, militaire, économique et culturel sans toutefois jamais basculer vers l'affrontement direct et la confrontation atomique. Il n'en reste pas moins que de nombreux conflits périphériques sanglants, opposant indirectement Américains et Soviétiques via leurs alliés respectifs, ont vu le jour tout au long de la période. La seule exception, que rappelle fort justement l'auteur, a eu lieu pendant la guerre de Corée (1950-1953) lors de laquelle des pilotes de chasse américains ont été ponctuellement mais directement confrontés à leurs homologues soviétiques. Ce fut la seule et unique fois et le fait a volontairement été caché par les deux Grands. Atypique dans sa configuration, la guerre froide, opposition d'un genre nouveau fondée sur l'incompatibilité de deux modèles, engendra pendant presque un demi-siècle un équilibre précaire que Raymond Aron qualifia, dès 1948, d'une formule lumineuse « paix impossible, guerre improbable ».

L'ouvrage de John Lewis Gaddis, professeur d'histoire militaire et navale à l'Université de Yale, est intéressant à plusieurs titres :
> il permet tout d'abord au lecteur d'intérioriser les fondamentaux de la guerre froide, d'en assimiler les « règles » et de (re)découvrir sa chronologie faite de crises paroxystiques et d'épisodes de détente. C'était une époque où les mots d'internet, de mondialisation, de transparence, d'immédiateté n'avaient pas lieu d'être et où les opinions publiques apprenaient par la presse l'histoire au jour le jour.

> Il met en second lieu bien en perspective la nature et le contenu des multiples temps forts qui ont rythmé la période, du blocus de Berlin (1948) à l'effondrement du bloc de l'Est (1989-1991), dont certains ont failli, à l'instar de la guerre de Corée (1950-1953) ou de la crise de Cuba (1962), déboucher sur l'apocalypse nucléaire.

> Il décrit par ailleurs parfaitement le profil et la psychologie des dirigeants qui ont été les grands acteurs de la période et dont quelques-uns ont pu laisser l'impression de jouer avec le feu, tels Mao, sincèrement convaincu qu'il fallait utiliser l'arme nucléaire pour repousser les Américains, ou Khrouchtchev qui a, plus d'une fois, usé d'une rhétorique laissant penser qu'il pouvait en faire usage. le lecteur appréciera tout particulièrement l'analyse que Gaddis fait de Gorbatchev qui a vainement tenté de réformer le système socialiste en conjuguant glasnost et perestroïka, jusqu'à ce que le processus qu'il a volontairement engagé échappe à tout contrôle et débouche sur la désintégration du bloc soviétique qu'absolument personne n'avait anticipé ni même envisagé.

> Il souligne enfin, pour ceux qui l'avaient oublié, que la chute du Mur de Berlin en novembre 1989 est survenue de façon totalement inopinée puisque les garde-frontières, dépassés par l'ampleur de la foule massée à proximité des points de passage - sur fond de manifestations démocratiques dans toute la RDA - ont décidé d'ouvrir les portes et d'autoriser le passage des Berlinois de l'Est à l'Ouest sans demander l'accord de leur hiérarchie et, partant, des autorités est-allemandes. Une décision lourde de conséquences puisqu'elle a radicalement changé le cours de l'Histoire.

Véritable roman-monde d'une histoire pas si lointaine, l'étude, aussi sérieuse qu'analytique de John Lewis Gaddis, se distingue par son caractère vivant et accessible. Seul regret pour le lecteur : toutes les références bibliographiques citées sont en anglais, laissant à penser que les recherches européennes sur la guerre froide ne comptent pas, ce qui est évidemment un non-sens. Si les Américains ont été les vainqueurs de la guerre froide, ils ne l'ont pas nécessairement été sur le plan historiographique, même s'ils se plaisent à le penser.
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