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Critique de magielivres


"Je vous repère d'abord de loin, attirée par vos mouvements, mêmes infimes, et surtout par la chaleur et le dioxyde de carbone que vous dégagez. Je m'avance précautionneusement et hume votre odeur. Vous possédez tous des effluves différents. J'avoue préférer celui des mâles, un peu plus acidulé et épicé, terreux parfois, mais toujours enivrant."

2024, Canada, Théodore, fatigué, usé, par un travail répétitif, une chaleur exceptionnelle, épuisante, se traine pour aller travailler. Il passe des nuits à se battre contre les taons à cheval, des mouches à chevreuil, qui envahissent son appartement par le moindre interstice. Après la mort de ses parents, il est seul à s'occuper de son grand-père, qui vit dans un institut, ça lui retourne l'estomac de le voir attaché et si maigre.

"Délicatement, je dépose ma bouche sur votre peau suave, telle une langue chaude, initiant juste assez de succion pour en goûter la saveur. Une pulsion indescriptible m'envahit. J'entrouvre ma bouche et perce votre tégument de mon stylet en forme de couteau. La plaie ainsi ouverte laisse échapper les fluides corporels. Je suce et avale avec délectation votre sang, fabuleuses proies. Chaud. Sucré. Précieux. Vital. Je suis hématophage."

1942, afin de contribuer à l'effort de guerre, Thomas, chercheur dans une université de Montréal, est réquisitionné par l'armée canadienne, pour travailler en tant qu'entomologiste dans un laboratoire. Il se retrouve sur Grosse-Île, au beau milieu du Saint-Laurent, ils sont trente scientifiques : douze en provenance des États-Unis, quatorze d'Angleterre et quatre du Canada. le programme de guerre bactériologique déployé sur l'île était une collaboration entre ces trois pays. Pourquoi à cet endroit ? interdiction de discuter entre collègues ou avec le personnel de l'armée et les employés de l'île. "If you ever speak, people could die."

A l'ouest, dix spécialistes de l'anthrax s'activaient sur le projet N, un peu plus au nord, quinze virologistes travaillaient sur le projet R (pour Rinderpest), et à l'est, pour le projet F (pour Fly), collaboraient, un virologiste, un pathologiste, deux épidémiologistes et Thomas, spécialisé dans l'étude des insectes.

"Pour nous, les conditions idéales étaient réunies, ce qui nous permettait de nous multiplier abondamment. Vous auriez probablement ressenti de la nausée en nous voyant surgir sur les berges du Saint-Laurent : une nuée de frappabords, en une seule main sombre et vorace, caressant les herbes hautes au lever du soleil.
La plupart de mes congénères s'étaient réfugiés dans les champs où vous laissez paître le bétail. Je m'acharnais jour et nuit sur ces pauvres bêtes sans défense. J'adorais particulièrement leurs oreilles tendres. J'avais la possibilité de les savourer tout en observant leurs yeux désespérés. Cela les rendait complètement folles, et moi, fébrile."

2024, Les températures atteignent des sommets encore inégalés à ce jour au Québec…quarante degrés Celsius. L'énervement est à son comble, des cas de violence à Montmagny, des bagarres, la prolifération d'insectes. Des biologistes cherchent à expliquer l'importante éclosion de mouches à chevreuil dans la région.

"J'ai goûté toutes vos peaux, vos sangs, vos sueurs, hommes, femmes, enfants, malades, stressés, propres, sales. J'ai digéré toutes vos chairs dans l'objectif ultime de me reproduire un jour.
En même temps, cette attente remplissait chacune de mes cellules d'une délicieuse béatitude préorgasmique. J'avais appris de mes ancêtres que la patience se cultive ; on appelle cela la chasse.
Une envie si profonde s'est alors emparée de moi. J'ai craqué. Succombé. Abdiqué. Abandonné toute retenue."

Frappabord de Mireille Gagné, un livre très intéressant, sur un épisode de l'histoire que je ne connaissais pas, une fiction, inspirée de faits historiques. Une leçon aussi pour le futur de notre planète. le titre m'a attiré, ayant déjà croisé ces insectes dans "À la lisière du monde". Moi, qui prend les jambes à mon cou, au moindre bruissement d'ailes, c'est effrayant. Coucou les Canadiens, je vous aime, mais gardez-les chez vous, je vous assure qu'on a ce qu'il faut. Merci.

"Il n'existe pas de mot assez puissant pour décrire l'agacement, l'emportement, la tristesse, l'énervement, l'exaspération, l'impatience, la frustration, l'indignation, l'impuissance, la résignation, l'irritabilité, la susceptibilité, la fureur, l'amertume, la dureté, l'affolement, l'agitation, l'embrasement, la violence, la furie, la rage dévastatrice qui m'habite depuis ce jour-là. Quand je pense à toi et à ton espèce.
Je vous méprise. Je vous déteste. Je vous abhorre. Je vous exècre. Je vous aversionne. Je n'ai jamais vu des individus aussi malveillants envers eux-mêmes et les autres.
J'avais confiance que la canicule persisterait. Vous aviez suffisamment perturbé le climat pour permettre la poursuite de ce cycle. Je laissais leur destin entre les mains de la nature, sachant au plus profond de moi que j'avais parfaitement accompli ma mission. Je t'avais transmis bien plus qu'une simple morsure. Notre rage devenue tienne."

Un récit bien écrit et qui se lit très vite, une découverte pour moi.



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