Le torero me tendit une cigarette.
--Vous connaissez Federico Garcia Lorca ? demandai-je.
Il hocha la tête et je me mis à réciter en espagnol--à l'époque, je les savais par coeur --des vers du "chant funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias "
Le torero m'écoutait avec une extreme attention.Sa cigarette se consommait, immobile,au bout de sa main droite.
Le vent emporta les cotons
à cinq heures de l'après-midi.
Et l'oxyde sema cristal et nickel
à cinq heures de l'après-midi.
Luttent la colombe et le léopard
à cinq heures de l'après-midi.
Cloches d'arsenic et de fumée
à cinq heures de l'après-midi.
Au coin des rues,groupes de silence
à cinq heures de l'après-midi.
Quand vint la sueur de neige
à cinq heures de l'après-midi.
Quand la plaza se couvrit d'iode
à cinq heures de l'après-midi.
La mort mit ses oeufs dans la blessure.
Après les derniers vers--j'avais parlé à mi-voix--Il hocha la tête encore et fit un bref commentaire.
--C'est une belle chose.Et c'est la vérité.
C'était l'aube.L'aube sur les labours luisants,sur l'or et le bronze des vignes,sur l'océan des blés, sur les cheveux des femmes ,sur les mains fragiles et puissantes des enfants.
Longtemps ,au coeur de la montagne,demeurèrent les braises et les crépitements.,longtemps frémirent les rivières de feu.
Puis le vent se leva pour disperser la fumée et les immortelles cendres.
Françoise me parla d'abord d'une nouvelle tâche qu'elle me proposait de la part de ses amis. Il s'agissait d'un travail régulier de dactylographie. Je devais taper un journal régional des F.T.P.F. en plusieurs exemplaires ou bien frapper des stencils qu'elle m'apporterait. On me fournirait des textes, bien sûr, que je pourrais présenter à ma guise, remettre en français parfois mais sans en altérer la teneur et sans modifier les chiffres. La discipline militaire!
1 Qui commence un soir d'octobre en terre occitane et se poursuit par la hiérarchie des anges
Je me souviens du crépuscule sur la terre d'Oc et des cris d'une femme en gésine. Un soir d'octobre.
Autour de l'école , vers les vignes et jusqu'à la ligne boisée de la Save, s' allongeaient les bras pourpres du soleil.J'etais assis à mon bureau, dans la classe déserte. Je regardais du côté de la cour l'embrasement du crépuscule ; et je sentais sur ma gauche, du côté de la place, que le vent nocturne, élevé peu à peu, s' emparait des platanes et que l'épaisse voûte de la feuillée encore intacte, se mettait à palpiter, à chuchoter.